36ème édition Jazz à Vienne :
Ce qu'il s'est passé le lundi 11 juillet 2016
Le croquis et la chronique de François Robin
Gregory Porter. Le libre de la jungle.
J'aime l'orage. Cette ivresse des sens, une animalité qui martèle vos épaules, glisse sur votre échine, semble vous traverser pour retourner à la Terre. A Vienne, c'est un rite initiatique, le rendez-vous des derniers des Mohicans, loyaux et imperturbables sujets du jazz dont les ponchos de pluie éclosent en un instant comme les corolles des fleurs du désert d'Atacama. J'ai senti la première goutte sous mon crayon. Il a glissé mollement sur le Kraft mouillé avec une souplesse de couleuvre, laissant derrière lui un doux jaillissement de pigments s'étendre voluptueusement dans l'eau. J'ai refermé en un instant mon carnet pour protéger le croquis en cours, celui d'un colosse tranquille, cintré dans un élégant costume, le seul artiste capable de porter une cagoule avec autant de classe qu'une noble dame du Moyen-Age son hennin.
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La sélection de Christophe Charpenel
En quelques années Christophe Charpenel, un des "vraitographes" réguliers de l'équipe de Jazz-Rhone-Alpes.com, s'est fait une belle réputation dans la communauté des photographes de jazz. Il collabore désormais à de nombreux médias et a réalisé de belles expositions tant en France qu'à l'étranger. Pour cette édition nous lui avons demandé de nous proposer chaque jour sa sélection. La photo qu'il souhaite mettre en avant.
Christian McBride - Mr Blue Note.
Sur la scène de Cybèle
Mystère Swing Big Band
Un big band en grande forme, quarante ans et toutes ses dents. Le Mystère Swing Big Band de Saint-Priest est un habitué de la scène de Cybèle et a renouvelé son répertoire pour l'occasion. Un maître mot "faut qu'ça swingue" et un fil rouge : Franck Sinatra.
Daniel Beguin, le chanteur, crooner, Monsieur Loyal du big band présente chaque morceau, son origine et le lien qu'il a avec le chanteur qui aurait eu cent ans cette année.On écoute de la bonne musique et on s'instruit ou on révise ses classiques. Pratique!
Ainsi on fera un petit tour du côté de The chicken, Luck be a lady (Sinatra était un joueur invétéré), I Get a kick out of you de Cole Porter, puis un thème de Duke Ellington suivi d'Afro Blue. Encore une chanson immortalisée par "The voice" : My kind of town composé par Jimmy Van Heusen. Puis l'inévitable Cheek to Cheek d'Irving Berlin créée en 1935 pour le duo Fred Astaire/Ginger Rogers.
Et pour le final ça sera Brazil en version swing.
Saluons la performance de ce big band qui a joué en costume cravate malgré la touffeur estivale sous la tente de la scène de Cybèle et la baguette virtuelle de Michel Rodriguez .
Pascal Derathé & photos Jazz-Rhone-Alpes.com
Béranger Magni Quartet invite Matilda Gratte
Déjà vu à Vienne dans un contexte fort différent en trio, Béranger Magni revient cette année en quartet, une formation dont les membres sont issus de la même promotion du prestigieux Berklee College of Music qu'il a eu le bonheur d'intégrer. C'est un quartet européen, mais fortement marqué par les influences américaines qu'il subit en vivant et en étudiant aux Etats Unis, avec une chanteuse suédoise, Matilda Gratte, un bassiste italien, Stefano Genova, un batteur, Martin Tamissier, et un pianiste, Béranger Magni, tous deux français.
Ces musiciens en pleine transformation et en formation intensive nous donnent un aperçu de la qualité de leur production avec quelques compositions intéressantes de la chanteuse et des reprises de Robert Glasper, Esperanza Spalding et Herbie Hancock. Le traitement très soul de la voix et les arrangements jazz soul, s'ils ne sont pas encore de la plus grande originalité, donnent un côté moderne à l'ensemble. Le résultat est sympathique et rafraîchissant, la candeur n'exclut pas le talent et ce que Béranger Magni présente actuellement avec son quartet, à travers quelques échappées de liberté, laisse augurer de très belles perspectives d'avenir.
On aimerait bien revoir ce groupe dans la prochaine édition de Jazz à Vienne, afin d'en suivre l'évolution qui sera, on n'en doute pas, fort intéressante à observer et à écouter.
Michel Mathais & photos Nathalie Jamais
St-Roch Quartet
Ce quartet savoureux nous vient tout droit du Québec où il a remporté en 2015, le concours Vitrine sur la relève du Festi Jazz international de Rimouski. Issus du même quartier de la ville de Québec, d'où son nom, cette formation enracinée dans un terreau musical riche existe depuis 2012.
Dès le début les interactions entre les musiciens et la création collective sont au cœur de leur projet. Ce compagnonnage de quelques années et cette communauté d'idées au sein du groupe se ressentent dès qu'on les écoute et plus encore quand on les voit. Il y a dans ce quartet une solidarité que ne démentent pas leur attitude, les regards, les sourires, le soutien actif, les encouragements que reçoit chaque soliste de la part des autres musiciens du groupe, révélateurs de leur état d'esprit très collectif.
Chaque titre est conçu comme un relais, le thème est ainsi un fil conducteur que développe chaque improvisateur en le reprenant là où l'a laissé celui qui précède, un peu comme un passage de témoin. C'est original, ça donne une cohérence au morceau et ça renforce la cohésion de l'ensemble. Le quartet ne joue pratiquement que des compositions des membres du groupe qui sont toutes à l'origine basées sur des aspects particuliers de la vie du quartier, ce qui donne une musique avec un côté très narratif, une espèce de galerie de photos ou de court métrage, avec une composition collective, Clocher Penché qui est un peu le point central du concert par son énergie et son final atypique.
La musique du St-Roch Quartet est une musique originale et plaisante que le public nombreux a eu beaucoup de plaisir à écouter.
Michel Mathais & photos Nathalie Jamais
Black Flower
Une belle surprise sur la scène de Cybèle.
Un groupe belgo-texan qui arrive avec son ethiojazz puissant. Capable de rythmes entêtants comme de mélopées hypnotiques cette formation joue des compositions de son leader Nathan Daems (saxophones). Apparemment il a écouté avec une belle attention tous les albums de la série "Ethiopiques" et connait ses Mulatu Astatke et Mahmoud Ahmed sur le bout des doigts et en a fait son affaire. Les rythmes changent sans arrêt, le cornet de Jon Birdsong est très présent on évite les poncifs du genre pour une proposition d'une grande richesse musicale.
Un set varié et d'une chaude intensité où l'on entend parfois des conques et autres coquillages qui prolongent le voyage. A retrouver avec leur album "Abyssinia Afterlife"
Pascal Derathé & photos Jazz-Rhone-Alpes.com
(Nathan Daems: flûte, sax ; Jon Birdsong: cornet, coquillages, percussions ; Wouter Haest: claviers ; Filip Vandebril: basse ; Simon Segers: batterie)
Cybèle en soirée
Une soirée écourtée puisque la pluie nous a privés du "Cleim Haring" Live Band
TWS Trio
Après la folie de ces derniers jours les alentours du kiosque de Cybèle sont étrangement calmes. L'amertume de la non victoire de la veille, la crainte de la pluie, la très belle affiche du Théâtre Antique ?
Alors le kiosque prend des airs de club de jazz en plein air.
Et pour parfaire le tableau c'est un excellent trio qui est aux manettes. Jugez donc : Wilhelm Coppey au piano électrique , Stéphane Rivero à la contrebasse et Pierre "Tiboum" Guignon à la batterie.
Autant dire qu'avec ceux-là le time va être bien traité.
Et on ne sera pas déçu.
Ils nous offrent quelques standards comme Jessica d'Herbie Hancock, Little bossa. Comme à son habitude Tiboum ne peut s'empêcher de s'accompagner en chantonnant. On continue avec Blue Seven de Sonny Rollins puis une compo de Wilhelm et un morceau de Chick Corea en hommage à Bud Powell.
Une bien belle soirée de jazz à Cybèle, courte mais de qualité.
Pascal Derathé & photos Jazz-Rhone-Alpes.com
Au Théâtre Antique
Gregory Porter
Troisième passage à Jazz à Vienne pour Gregory Porter : la première fois en 2012 c'était la révélation au Théâtre Antique avec essai immédiatement transformé au Club de Minuit, la deuxième fois en 2014 au plus fort d'une reconnaissance mondiale grandissante avec son album "Liquid Spirit", confirmation largement saluée à l'applaudimètre. Cette année, alors que vient juste de sortir son quatrième album "Take me to the valley" (Blue Note 2016), on peut sans hésiter parler de consécration tant Gregory Porter a été totalement convainquant dans un set de soixante quinze minutes malheureusement perturbé par la pluie dans son final au point de rendre un rappel quasi impossible.
Toujours accompagné des fidèles Chip Crawford au piano et Emmanuel Harrold à la batterie, le quartet accueille cette fois un nouveau contrebassiste Jahmal Nichols ainsi que le sax ténor de Tivon Pennicott.
Le concert commence par la composition Holding on qui ouvre aussi le nouvel album, un titre qui rencontre un franc succès sur les radios dans sa version house, mais ici il en donne une version qui sonne bien comme un futur standard jazz de la dimension de 1960 what ?.On fait un petit tour vers l'album de 2012 "Be good" avec l'incontournable et toujours aussi convainquant On my way to Harlem qui démontre que le chant de Gregory Porter a encore gagné en puissance et profondeur. On revient ensuite pour trois morceaux consécutifs sur le récent album avec d'abord le titre qui lui donne son nom à l'album Take me to the alley : ici Gregory Porter invite à découvrir de vrais endroits où tout ne brille pas et n'est pas parfait mais où les gens ont besoin d'aide, comme pour confirmer d'une nouvelle manière l'engagement spirituel qui l'a toujours habité. Le morceau s'étire : Tivon Pennicott y place un très rond chorus de ténor et Gregory Porter le conclue avec de délicates et douces vocalises. C'est ensuite le très soul Don't lose your steam toujours aussi tonique et habité, écrite pour son fils et au-delà pour toute la jeunesse qu'il voudrait voir s'engager davantage. C'est au tour de In fashion qui invite à prendre du recul par rapport au présent et à l'obsession de la mode avec toujours de brefs scats renversants. C'est ensuite au tour de l'album de 2013 "Liquid spirit" d'être largement revisité d'abord avec le titre éponyme qui se teinte ici de passionnés accents gospel, suivi de Hey Laura qui ravive dans les têtes la soul de Marvin Gaye, une influence forte de Gregory Porter. Avec le seul soutien du piano captivant de Chip Crawford ce sera la ballade Wolfcryqui conduit toujours avec autant de passion et de brio vers un final du concert s'inscrivant dans la grande tradition de la musique noire américaine où seront cités Hit the road Jack de Ray Charles et Papa was a rolling stone des Temptations pour introduire le titre Musical genocide qu'il termine en énumérant des grands noms liés à jamais à cette musique : James Brown, Nat King Cole, Monk ...et clin d'œil à l'artiste qui va lui succéder sur scène Chick Corea !
Au global, sur un terrain moins concurrentiel que celui du jazz vocal féminin, Gregory Porter incarne aujourd'hui le jazz vocal masculin. Il le doit d'abord au choix de ses compositions qui au fil de ses quatre albums sont toujours restés de qualité, certaines pouvant prétendre au statut de standard de demain, riche d'une technique vocale sans faille alliée à une réelle profondeur et sincérité dans sa démarche toujours empreinte de spiritualité et d'engagement.
Gérard Brunel & photos France de Stéfanis
Chick Corea
Ils ont su faire de la servitude de leur passion un moment de joie. Leur lucide gaieté, leur profond dynamisme ont fait de nous d'heureux mélomanes. Actifs, nous l'étions peu pourtant, la pluie était battante et nous n'osions bouger de peur que l'eau ruisselle sous nos habits. Mais la musique a rendu à l'oreille son activité, son désir était d'aller au plus près des mouvements régnants.
Alchimie imaginaire : "Il nous a offert une grande partie de ses univers, à chaque morceau l'ambiance était différente." nous dit Philippe Simonci.
Illusion active dans laquelle nous propulse la force rythmique du contrebassiste Christian McBride. Solo, duo, quartet et quintet s'enchaînent. C'est par vagues qu'arrive la musique du batteur Marcus Gilmore, c'est par surprise que nous tombons sur l'épaisseur de la sonorité fluide du trompettiste Wallace Roney, c'est par gouaille que les sonorités fermes et hérissées du saxophoniste Kenny Garrett nous parviennent.
Fermez les yeux et entendez le nom de ces prestigieux musiciens, Chick Corea, Christian Mc Bride, Wallace Roney, Kenny Garrett. La tension vous habite-t-elle ? Entendez le nom des compositeurs, les discours sobres de Billy Strayhorn, les lignes sinueuses de Bud Powell, les méandres du phrasé de Miles Davis, les chants de Chick Corea. Alors vous saurez déjà un peu comment le bebop s'insinue dans le jazz fusion actuel. Ce soir, il ne s'agissait pas de remonter le temps, il s'agissait de lui offrir la violence sublimée d'un désir chromatique.
Valérie Lagarde & photos France de Stéfanis
Bonus
La galerie de photos de Jazz-Rhone-Alpes.com
Les concerts du lundi 11 juillet 2016 à Vienne
Mystère Swing Big Band ; Béranger Magni Quartet feat. Matilda Gratte ; St6roch Quartet ; Black Flower ; TWS Trio ; Gregory Porter ; Chick Corea
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