36ème édition Jazz à Vienne :
Ce qu'il s'est passé le samedi 9 juillet 2016
Le croquis et la chronique de François Robin
Ibeyi & Esperanza Spalding. Jumeau, l'Autre-Soi.
"Ça doit faire bizarre d'avoir un jumeau." A cette sempiternelle remarque, nous avons coutume de répondre, mon frère jumeau et moi: "Ça doit être étrange de ne pas en avoir." Entre fascination et superstition, si le mystère des jumeaux n'en finit pas d'intriguer, c'est qu'il porte en lui notre propre mystère, celui de notre identité, inséparable de notre rapport à l'Autre.
Voir la suite sur le blog de François Robin
La sélection de Christophe Charpenel
En quelques années Christophe Charpenel, un des "vraitographes" réguliers de l'équipe de Jazz-Rhone-Alpes.com s'est fait une belle réputation dans la communauté des photographes de jazz. Il collabore désormais à de nombreux médias et a réalisé de belles expositions tant en France qu'à l'étranger. Pour cette édition nous lui avons demandé de nous proposer chaque jour sa sélection. La photo qu'il souhaite mettre en avant.
Esperanza Spalding
Sur la scène de Cybèle
Honey Jungle Trio à Cybèle
Une journée parfait à Vienne ça pourrait commencer à 16h, où la scène de cybèle sous la chaleur accueille une musique de club avec le trio roi du jazz : piano, basse batterie.
Ces trois-là sont venus de Saint Étienne.
Les membres du trio Honeyjungle souhaitent que leur jazz suive une ligne pop avec une mélodie identifiable facilement et ça groove pas mal leur affaire.
Un zeste de synthé, une petite rythmique qui s'installe doucement, le contrebassiste fait décoller son solo avec son archer ça pourrait être une composition du fameux trio suédois EST mais c'est une de leur
création: Les sœurs chimistes.
Un détournement tortueux et nerveux d'un morceau de Nirvana et c'est Kurt Radio morceau très réussi du groupe.
Nous voilà en très bonne compagnie pour commencer la journée!
Le trio Honeyjungle a déjà deux albums à son actif, si vous les avez raté il sera fin juillet au festival du Crescent de Mâcon.
Jean-Marc Aguirre & photos Nathalie Jamais
Lunatic Toys
La grosse claque de la journée est venue d'où on ne l'attendait pas forcément, un groupe de la région : Lunatics Toys qui se produisaient à Cybèle en milieu d'après midi.
Ceux qui s'attendaient à écouter du jazz de salon tranquillement sous la voile ont du opérer un repli stratégique, car sur scène les Lunatic Toys avaient décidé de taper fort au sens propre et au figuré.
A l'entame du set on se dit que c'est un peu rugueux et pas du tout lunaire comme pourrait le laisser penser leur nom et puis rapidement on se rend compte que non c'est juste une musique totalement déjantée sous influence rock psychédélique brutal et c'est décoiffant et euphorisant.
Le jeu au synthé d'Alice Perret est minimaliste il pose une ambiance et relance les autres protagonistes, c'est le batteur Jean Joly qui fédère très souvent la structure du morceau alors que le saxophone de Clément Edouard balance ses joutes torturées.
Le tout donne une musique puissante, hypnotique et profondément urbaine.
Pour le coup le changement est total le groupe ici refuse totalement la mélodie, j'ai pensé à l'ensemble Cinematic Orchestra pour le côté création de tableaux cinématographiques electro-jazz, ou à un Phillip Glass sous acide.
C'est dans tous les cas une musique contestataire de grands malades mentaux... mais qu'est ce que c'est bon.
A perfect day
Jean-Marc Aguirre et photos Nathalie Jamais
Moncef Genoud Trio
Ana et Lionel Martin aux Musaïques : Performance
"Les activités des artistes se veulent généralement ambiguës, transgressant les scissions entre genres artistiques pour mettre l'accent sur la nécessaire intrication d'éléments liés à plusieurs types d'expression individuelle.
La performance met en valeur l'identité originale et souvent polyvalente de celui qui la produit et brouille ainsi la distinction entre les fonctions de l'interprète et du créateur."(1)
Lionel Martin est saxophoniste, Ana est artiste plasticienne, face à nous, ils inventent une œuvre. Ils vont l'un et l'autre, l'un après l'autre, ensemble, traduire, exprimer, représenter pour la première fois ce qu'ils vivent, au moment même de notre présence à nous spectateur.
16h le 9 juillet 2016, nous sommes face à Vienne dans le musée de Saint Romain-en-Gal. A gauche, une mosaïque montre Orphée jouant de la lyre à huit cordes : le poète charme les animaux qui l'entourent. A droite trois saxophones et une loop, devant nous, le rideau de papier se termine en pavement.
Deux saxos en bouche, "advienne que pourra" (2), Lionel Martin entre en scène, il lâche le monde et démarre une histoire avec Ana. Coiffé d'un masque de lion, il pose "un accord en prise large, sans motif" (2). La puissante colonne d'air nous capte.
Ana baigne dans la musique, "reçoit la musique par la peau" (3). En transe, elle dessine des traits de couleurs, dos à la toile, elle poursuit... Ma mémoire m'offre des œuvres du mouvement expressionniste abstrait - je revois des peintures de Joan Mitchell. Je ne lâche plus mon crayon : entendre la musique, voir l'œuvre et écrire.
Les graves sont plus doux
Des tubes coule la peinture sur le papier
Un torchon mouillé traîne sur la toile
Echo de la griffure
La main du peintre s'ouvre, le geste de frapper prend toute son importance
Le saxo mélodique retourne le peintre, elle travaille son trait
Tombent des gouttes rouges au sol
J'écris la couleur, la mélodie change
Traits bleus, les gouttes rouges s'étalent au sol
Le son s'amplifie et résonne - Ana épaissit ses traits bleus. Lionel dessine.
Avec le fond du tableau, la conscience revient à Ana
Des notes répétitives changent d'harmonie
Figure dans le rythme, au pinceau noir, un visage se perçoit
Recul de l'artiste qui voit son travail, elle remonte son trait comme il remonte la gamme, répétitivement.
Certains traits colorés se couvrent de noir - marques d'un passage-
Lionel joue sur son rythme
Le trait frappe le papier
Souffle dans les eaux, il perd la notion du temps
Climax, musique submarine, le corps du deuxième visage se noie dans l'espace
Cheveux aux vents, se tient-elle ou retient-elle le mât du bateau ?
Ils jouent comme des enfants, elle peint son pied, il lui répond de notes...
Orphée charme les animaux, le public aussi...
Valérie Lagarde & photos Christophe Charpenel
(1) Bosseur Jean-Yves, "Performance" in Vocabulaire de la musique contemporaine, Paris, Minerve, 1992.
(2) Propos de Lionel Martin
(3) Gilbert Rouget in la musique et la transe : "baigner dans la musique n'est pas qu'une métaphore. Il arrive qu'on la reçoive véritablement par la peau".
Cybèle en soirée
Une soirée "chansons" au programme du kiosque
Ember
Une heure de chanson folk.
Les frères Brassens
tout est dans le titre.
Au Théâtre Antique
Esperanza Spalding ... au théâtre ce soir !
Quelques livres sur les étagères d'une bibliothèque attirent l'œil du spectateur, tout comme la batterie enfermée dans une cage de plexiglas. Il y a du concept dans l'air ! Pour sa troisième visite au théâtre antique, la contrebassiste devenue bassiste et chanteuse arrive avec l'album "Emily's D + Evolution".
Un grondement synthétique fait vibrer les pierres millénaires quelques minutes avant l'heure théorique du début de soirée... Sur scène, entrent alors Emily Elbert, Nadia Washington et Corey King, trois Pikachus en cravate dans le rôle des choristes, tout de mauve vêtu, Mathew Stevens sera le guitariste, Karriem Riggins, l'homme à la chemise à carreaux rouges et noirs officiera dans la cage de verre ! Dans une impressionnante robe XXL noire et blanche, Esperanza arrive en vocalisant, tend une banderole "PROLOGUE" avant de nous livrer un numéro digne d'Arturo Brachetti en transformant sa robe en une sorte de tipi. Elle s'en extirpe, toute de blanc vêtue, des chaussures aux lunettes, sa coupe afro troquée contre des dreadlocks surmontées d'une couronne métallique.
Alors que le choriste masculin, tend une banderole "EVOLUTION", elle s'empare de sa basse fretless sans fil, chantant dans un micro HF qui lui donne une totale mobilité. Qu'elle danse en mode automate ou marionnette, qu'elle revête une cape assortie à ses jaunes choristes, qu'elle reçoive et empile sur ses bras les livres qu'ils lui apportent, que ses choristes lui nouent une cravate, qu'elle prenne ou pose la basse, qu'elle s'installe au Würlitzer, qu'elle active au pied des pads électroniques, qu'elle se juche sur un tabouret derrière une grosse croix noire sur fond blanc, qu'elle se livre à un duel tambour vs basse tandis que le guitariste tend sa banderole "DEVOLUTION", qu'elle regarde ses choristes se lancer dans une chorégraphie ludique et rigolote ou voleter des foulards rouges, qu'elle...
Esperanza Spalding raconte avec le plus grand sérieux une histoire en notes, en mots, en images, en gestes. En neuf chansons, elle a imaginé une heure foisonnante où se côtoient les univers ultra-sophistiqués d'une Björk ou d'une Kate Bush dans un déluge sonore très pop. Musiciens et choristes sont à son service et interprètent leurs personnages avec talent et conviction. L'originalité visuelle du propos est patente. A-t-on déjà vu sur la scène du théâtre antique des choristes jaunes coudre entre elles des banderoles avec leurs cravates jaunes et des foulards rouges ? "+EVOLUTION" devient "DEVOLUTION+EVOLUTION" pour se conclure en "D+EVOLUTION".
Le spectacle conceptuel a cette force et cette limite d'être livré TTC, sans présentation, sans explication, sans rappel. Certains l'ont reçu dans sa plénitude, d'autres n'en ont perçu que des bribes. Chacun aura vécu cette heure à sa façon dans la douceur et la lumière d'un soir d'été viennois !
Chistian Ferreboeuf & photos Jazz-Rhone-Alpes.com
Ibeyi, pop strass
Première visite pour Lisa (coiffure afro) et Naomi (tresses) Diaz sur la scène de Jazz à Vienne, un croissant de lune atteste que la nuit est tombée quand entrent sur scène les jumelles franco-cubaines dans leurs combinaisons rouges. Le jazz avait ses jumeaux avec les Moutin, l'électro-pop a ses jumelles avec les Diaz. Pendant une heure, elle déroulent avec assurance les titres de leur album. La formule en duo se doit d'être évolutive et variée autour des deux voix : acapella, un peu, clavier-cajón, beaucoup, clavier-percussions électroniques, parfois, clavier-batas, une fois. Elles sollicitent souvent le public qui ne se fait pas prier pour taper la mesure ou assurer le chœur. L'électronique est très présente avec un sample par ci, une ligne d'infrabasse par là. Les treize chansons sont interprétées en anglais et en yoruba. Quelques mots français s'y sont glissés, si l'on tend bien l'oreille.
Les écrans du fond de scène diffusent essentiellement des images en noir et blanc, se colorant de vert ou rouge vers la fin du set avant de donner dans la polychromie. Pour conclure leur heure de gloire, Lisa et Naomi se transforment en MC's pour une reprise de leur tube River repris par une grande partie du public. Qu'elles fassent plus confiance à leur musique, qu'elles se débarrassent des harangues et autres artifices devraient venir avec le temps... Elles sont encore bien jeunes. La preuve, quand elles sont revenues, une heure plus tard, étoffer les chœurs aux côtés de Yael Naim sur Ima, c'était parfait!
Chistian Ferreboeuf & photos Jazz-Rhone-Alpes.com
Yael Naim
Une journée parfaite à Vienne ça pourrait se terminer avec un concert de Yael Naim au théâtre antique sous un ciel étoilé,
un concert centré sur les voix, d'abord celle de Yael puissante et intime à la fois, mais aussi celle de ses choristes qui sont très présentes dans ce spectacle.
C'est le troisième album sorti l'année dernière que nous présente Yael Naim et son compagnon de ville et de scène David Donatien : "Older"
"Older" pour eux c'est le fait d'être désormais assez vieux pour perdre des proches mais aussi pour donner la vie ils sont depuis peu parents d'une petite fille.
L'album est une suite de hit potentiels dont certains nous sont déjà familiers comme Dream in my head ou Coward.
Pour ce dernier sur scène elle est d'abord seule au piano puis les chœurs interviennent et ça ressemble à un requiem, un moment de communion, la chanson illustre la peur de devenir quelqu'un d'autre ; ...."how did i become Coward".
J'ai retenu aussi Ima qui veut dire maman en hébreu c'est une berceuse composé pour leur fille moitié en hébreux et moitié en créole jolie illustration du métissage de leur couple.
Yael Naim a tenté et réussi une prouesse au théâtre antique, celle de s'improviser chef de chœur et de diviser les spectateurs en trois pupitres différents pour l'accompagner dans une de ses chansons, un joli moment de complicité même avec une "salle " aussi imposante.
Une version "revisited" de l'album est déjà sortie avec quelques invités prestigieux,notamment une version de "Coward" enregistrée avec Brad Melhdau au piano.
Paradoxalement Yael Naim semble fragile et inquiète alors que sur scène elle démontre une assurance sans faille et un cœur gros comme ça.
Ce spectacle est déjà bien rodé il va les emmener prochainement au Canada et au Japon c'est effectivement une musique qui semble universelle avec en plus des paroles en anglais.
Yael Naim était déjà sur la même scène mercredi dernier pour le projet "autour de Chet" où elle était tout à fait à son aise; alors peut être la révérons nous ici avec un projet purement jazz.
A perfect day ...
Jean-Marc Aguirre & photos Jazz-Rhone-Alpes.com
Le Club de Minuit
Tigana Santana et Inor Sotolongo
Tigana Santana nous est présenté comme une convergence de différents styles, pop, folk, traditionnels. J'ai vu et entendu un garçon très calme, un brésilien de Bahia qui nous a promené dans une Afrique idéalisée, toute douce, toute calme. Un set coolissime.
Pascal Derathé & photos Jazz-Rhone-Alpes.com
Les improvisations picturales par l'association Solo Sary
En marge des concerts de Cybèle, plusieurs fois durant le festival cette association propose à un tandem de peintres de réaliser une toile de un mètre par un mètre en direct sur la musique.
Bonus
La galerie de photos de Jazz-Rhone-Alpes.com
Les concerts du samedi 9 juillet 2016 à Vienne
Honey Jungle Trio ; Lunatic Toys ; Moncef Genoud Trio ; Ember ; Les frers Brassens ; Esperanza Spalding ; Ibeyi ; Yael Naïm ; Tigana Santana & Inor Sotolongo
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