Jazz-Rhone-Alpes.com

36^ème édition Jazz à Vienne :

Ce qu'il s'est passé le jeudi 7 juillet 2016

Le croquis et la chronique de François Robin

Mehldau, Scofield & Guiliana. La caverne de Platon

Ce soir, le crash-barrière est vide. D'ordinaire, c'est plutôt une chance pour moi, la certitude de pouvoir dessiner sans photographe. Non que je ressente une quelconque aversion pour cette joyeuse compagnie de passionnés avec qui je partage les plus beaux moments, mais l'espace réservé en bord de scène étant aussi étroit qu'un couloir SNCF, il est souvent prétentieux d'espérer dessiner dans des conditions confortables. Las, je dois ce soir rejoindre le clan des dépités: le sanctuaire m'est aussi interdit ; personne dans le crash-barrière! Mais je dois reconnaître qu'autant je peux déplorer les oukases de certains producteurs de grosses machines à grand public, tenant plus de l'abus de pouvoir que d'impératifs artistiques, autant je peux comprendre cette décision pour ce soir.
 

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La sélection de Christophe Charpenel

En quelques années Christophe Charpenel, un des "vraitographes" réguliers de l'équipe de Jazz-Rhone-Alpes.com s'est fait une belle réputation dans la communauté des photographes de jazz. Il collabore désormais à de nombreux médias et a réalisé de belles expositions tant en France qu'à l'étranger. Pour cette édition nous lui avons demandé de nous proposer chaque jour sa sélection. La photo qu'il souhaite mettre en avant.

Sylvain Romano avant le concert du trio de Pierre de Bethmann à Cybèle

Sur la scène de Cybèle

Le Big Band Junior du conservatoire de Limonest invite le Fenton High Scool Jazz Orchestra à Cybèle

Le "Big band junior"  dirigé par Alexis Requet est la fierté du directeur du conservatoire de Limonest, Arnaud Caumeil. A juste titre car la formation fédère une vingtaine d'apprentis musiciens de douze à seize ans et leur apprend le travail en groupe et la discipline inhérente à cette pratique.

Le répertoire proposé sort un peu de l'ordinaire avec des arrangeurs moins connus que d'autres :

It's only a paper moon (Harold Arlen)
Vehicule (James M. Peterik)
Bill on the grill (Victor Lopez)
Now 's the time (Charlie Parker)
Cold duck time (Eddy Harris)
Grooved pavement (victor Lopez)

Comme la veille ce premier big band va céder la scène à un autre.

Le Fenton jazz orchestra

Fenton est une ville proche de Detroit (région des Grands Lacs). Andy Perkins dirige cette formation d'une vingtaine de "lycéens" qui apprennent la musique à l'école avec l'option jazz.

Le conservatoire de Limonest a développé un jumelage avec cette école, ainsi le big band junior s'y est rendu il y a quelques mois, et juste retour des choses le Fenton Jazz Orchestra vient en France, après une visite de rigueur à Paris, il passe quelques jours en Rhône-Alpes avec plusieurs concerts au menu, dont celui de Vienne, festival bien réputé outre-atlantique

Andy Perkins et son big band nous présentent un répertoire des plus classiques avec notamment un Sing,sing, sing qui décoiffe bien .

Pascal Derathé & photos Jazz-Rhone-Alpes.com

Kevin Seddiki & Bijan Chemirani à Cybèle

Kevin Seddiki et Bijan Chemirani joue une musique difficile à cataloguer, ce dont il n'ont d'ailleurs pas grand chose à faire et finalement nous non plus.

Disons qu'ils utilisent des éléments divers pour improviser ensemble ce qui est l'objet de ce duo. Kevin Seddiki est un guitariste de formation classique qui a rencontré le jazz (on l'a vu auprès d'Al Di Meola), il pratique également le zarb. Bijan Chemirani pour sa part pratique les percussions  iraniennes, principalement le zarb dont il est un virtuose mondialement reconnu, mais également le luth saz.

Ces deux musiciens jouent ensemble depuis une dizaine d'année au travers de divers groupes, en trio d'abord puis en sextet. Ce long compagnonnage musical a développé chez eux une grande connaissance réciproque, joint à leur goût commun pour l'improvisation  il n'en fallait pas plus pour que germe l'idée de ce duo consacré à l'art d'improviser ensemble. Cet art nécessite pour être réellement créatif un certain nombre de qualités techniques, une culture musicale approfondie et une communication instinctive entre les deux protagonistes, toutes qualités dont ils sont l'un et l'autre largement pourvus.

Les thèmes qu'ils utilisent ont des noms qu'ils oublient souvent de donner, mais ça n'est que de peu d'importance tant on est pris par le flot musical. De temps en temps même, jaillit de la guitare où du zarb un thème imprévu improvisé, l'autre musicien attend, concentré, que le thème ait fini d'éclore puis rentre dans le jeu et le dialogue, entre eux d'abord et avec le public ensuite, peut reprendre.

On est souvent dérouté au départ puis peu à peu ils nous font pénétrer dans leur monde et l'on s'en va, tous ensemble sur le même tapis volant. Quelques titres, Balafon ou Bamako, Cochichando ou Dar e âbi, indiquent que leurs sources d'inspiration sont très vastes. Au travers des thèmes développés par la guitare on passe des Balkans à l'Espagne, de variations classiques en modes iraniens, de l'Afrique à l'Amérique latine, mais on peut tout aussi bien retomber sur un air andalou que sur une chanson d'Aznavour. La musique de Kevin Seddiki et Bijan Chemirani est une musique pleine de douceur et de calme, différente de ce qu'ils nous ont donné à entendre l'après-midi à Cybèle. On pense aux râgas de la musique indienne, qui sont destinés à un moment précis de la journée, la musique ce soir au Club de Minuit fut une longue méditation. Portés par un public plein de ferveur, les musiciens ont dévidé pour nous les fils de soie d'une musique porteuse d'une sérénité active qui joue avec les rythmes et les mélodies, en harmonie avec le cœur du public.

Michel Mathais & photos Sébastien Cholier

Chromb! Décibels à Cybèle

La douce folie de Chromb! a déferlé à Cybèle, à l'heure où le thé commence à refroidir, l'energizer groupe lyonnais a surchauffé un public d'abord attentif, curieux, et bientôt conquis.

Le paradoxe Chromb!, ou l'art de la déroute permanente tout en étant solide sur ses fondements d'une musique tout sauf prout-prout...

Léo Dumont break & débreak à la batterie, Camille Durieux s'agite astucieusement sur ses claviers, Lucas Hercberg s'éclate à la basse et aux effets, quant à Antoine Mermet, il distille son management à la voix, synthétiseurs, delay et avec son sax alto.

L'énergie, obsédante, est omniprésente chez Chromb!, mais pas que... ça groove, il y a de la matière, des contrastes permanents, aucune facilité, de la fluidité, du jeu, de la jouissance, ça balance, tout en rupture lissée... une multiplication des effets, des distorsions, des pirouettes, mais tout est dans le dosage... et un peu de transpiration aussi...

Une musique phéromonale emplie de sensibilité où l'aspect tellurique, un son ancré, solide et dynamique, côtoie une dimension interstellaire avec de gentils personnages bien perchés...

Chromb! présente une suite d'histoire vraies, assurément... ou pas ! Un jazz psychédélique, bien barré, toujours inattendu (même les fins)... et pourtant transparaît une ligne mélodique persistante et haletante...

Le dernier morceau du set s'intitule "Il en fallait". Et il fallait effectivement ces quatre mecs qui font du bien aux oreilles (avec modération pour le premier rang) et plus encore pour l'estomac (sans modération).

Une matière vivace, une recette chrombesque... avec beaucoup d'ingrédients, et plus encore, bien dosé et bien préparé, ça passe tout seul... C'est hyper pro décontracté. Tout est dans l'équilibre !

Une tendresse virile, "virile mais correcte"...

Lauréat 2016 du dispositif Jazz Migration, le troisième album ("III" ?) de Chromb! sort à l'automne (à surveiller & à prescrire pour que ça fasse du bien là où ça passe !)

Bisouent*

Nicolas Pommaret & photos Nathalie Jamais

[* NDLR les Chromb! "bisouent" du verbe bisouer]

Pierre de Bethmann Trio à Cybèle

Je ne passe pas outre l'élégance mélodique du piano de Pierre de Bethmann qui me pousse au devant du temps qui passe. Je n'oublie pas la gravité de la contrebasse en solo de Sylvain Romano. Mais la batterie me propulse vers l'écoute, me laisse libre, m'ouvre à la musique du trio.
Le lieu du concert, lumineux et aéré, laisse libre court aux déplacements humains. Dans ce va-et-vient sympathique l'oreille se dessaisit tandis que la musique me ramène au sensible, me suspend des contours extérieurs. "La contemplation esthétique n'est pas une simple indifférence au monde" (1), on cherche à rendre raison de l'apparence, on entre dans un monde musical, les sons sont clairs, distincts et identifiables, force est d'entendre.

Soucieuse d'avoir distingué le jeu du batteur, Tony Rabeson, je m'autorise à questionner le pianiste Pierre de Bethmann à son propos:
"Ado, je l'écoutais dans les clubs à Paris, il a un parcours et un jeu exceptionnel, il a une palette de nuances intenses". Enfant à Madagascar, jeune adolescent à la Réunion, Tony Rabeson arrive à Paris dans les années 80, tourne avec Eddy Louiss puis Steve Swallow, Joe Lavano, Henri texier, Martial Solal...

Dans votre jeu, Pierre Bethmann, j'ai entendu que vous laissiez une large place au batteur ? "C'est pour moi un instrument absolument unique, je suis très connecté au batteur, j'adore cultiver la rythmique du jeu. Tony Rabeson a un sens de la relance exceptionnel. Il adore le jeu de Sylvain Romano: son son acoustique est hors du commun.
Ces deux musiciens jouent avec naturel les standards et les transcendent. J'avais composé pour le trio mais je n'ai pas choisi de jouer mes morceaux. C'est un nouveau chapitre, nous jouons en acoustique le répertoire, même si par ailleurs je continue le travail d'écriture avec le projet Medium Ensemble.
Une sacrée bouteille ! Juste car ils jouent ça avec un naturel qui me touche beaucoup : c'est là qu'est notre attention musicale."

Ces trois musiciens affirment leurs reprises de thèmes parcourus par le swing du plaisir sensoriel mais ils ne sont pas dupes des processus de répétition capable de causer "la ruine de la vie humaine" (2). Pour preuve leur interprétation du chant des Marais composée en 1933 par Rudi Goguel (un employé de commerce allemand enfermé par les nazis dans un camp de concentration pour détenus politiques). Ici pas de fatale prédestination, c'est leur capacité de commencer à l'intérieur du standard, d'interrompre la répétition qui les anime.
Sans doute ce sont des hommes qui, "parce qu'ils ont reçu le double don de la liberté et de l'action, peuvent établir une réalité bien à eux"(2).

Alors Messieurs, merci pour le partage !

Valérie Lagarde & photos Jazz-Rhone-Alpes.com

(1) Francis Wolff, Pourquoi la musique?, p39.
(2) Hannah Arendt, Qu'est-ce que la liberté ? in La crise de la culture.

Cybèle en soirée

Une soirée cybélienne consacrée au collectif "Pince oreilles" qui présente ce soir deux groupes.

Ginger Duo à Cybèle

Formule intimiste pour ce duo guitare & saxophones avec Romain Baret et Gregory Sallet qui ont choisi de jouer "bio" c'est à dire avec peu d'effets malgré la présence de quelques pédales au pied du guitariste. Leurs compositions sont plutôt calmes et invitent à la rêverie ou à la flânerie. Il est délicat d'impulser un rythme sans section rythmique, alors chacun  se charge d'accompagner l'autre et l'on assiste à de beaux dialogues entre ces instruments que l'on trouve assez rarement en "tête à tête".

Watchdog à Cybèle

Changement d'ambiance avec cet autre duo composé par Pierre Horckmans aux clarinettes et Anne Quillier au Fender Rhodes et Moog. Anne explore des pistes, recherche des sons, triture ses claviers et autres potentiomètres, Pierre calme le jeu avec ses différentes clarinettes. Le duo est en osmose et nous transporte dans son univers paralèlle.

Au Théâtre Antique

Scofield/Mehldau/Guiliana

Le festival nous ayant fait savoir que les photos étaient interdites (sauf pour trois médias "nationaux") nous appliquons notre règle habituelle.

John McLaughlin & the 4th Dimension

A l'heure ou John McLaughlin et sa 4th Dimension pénétrait sur la scène du Théâtre Antique , les Bleus venaient de faire un pas décisif vers la finale de l'Euro ... Il est déjà loin le temps ou l'équipe de Jazz à Vienne informait  le public en diffusant aux inter-concerts les images des buts lors des avancées décisives des Bleus vers la finale du Mondial de 98 ; de belles émotions collectives parcouraient alors les gradins ... c'était avant le temps du smartphone qui permet aujourd'hui  à chacun d'avoir égoïstement l'information en direct mais sans l'émotion collective du partage. Même si ce soir il fallait choisir entre foot ou jazz fusion, il n'en reste pas moins que  le public du foot et celui du jazz ne sont finalement pas si différent ; ne partage-t-on pas dans les deux cas le plaisir lié de l'improvisation-interprétation individuelle avec  celui  de  la construction collective d'un concert réussi ou d'un match gagné... ? Pour notre part nous avions choisi de vibrer avec John McLaughlin et nous n'avons surtout pas à le regretter tant nous avons été bien servi  du coté de flamboyantes parties de guitare que par l'osmose existant au sein d'une formation en totale cohésion, ce que n'avait pas su pleinement réaliser le trio Scofield - Mehldau - Guiliana qui assurait la première partie et qui en était resté au stade d'une luxueuse "jam session".

Dans sa composition actuelle (depuis 2013), John McLaughin & the 4th Dimension rassemblent le bassiste camerounais parisien Etienne Mbappe , le batteur indien de Bombay Ranjit Barot également pratiquant du "konokol" (cette méthode indienne permettant de vocaliser des rythmes sans batterie) et le britannique Garry Husband aussi inspiré derrière des claviers que sur une batterie.

Rapidement sur une ancienne composition Little Miss Valley  présente sur le live de 2013 "The Boston Record", un dialogue nourri s'installe entre les superbes chevauchées de guitare de John McLaughlin et les implacables accords qu'Etienne Mbappé expulse de sa basse cinq cordes sur laquelle il joue avec des gants noirs s'il  vous plait...comme pour  un supplément d'énergie ou de rondeur. Ensuite une large place sera faite au dernier album "Black Light" (Mediastarz 2015) avec la composition plus grave Gaza City écrite après les bombardements de Gaza pour laquelle la guitare de John devient plus délicate et les claviers de Garry Husband se teintent de couleurs "churchy". Le titre suivant El hombre que sabia est en fait un hommage à Paco De Lucia qui devait reprendre les chemins des studios avec John McLaughlin au moment de sa subite disparition. (Un album et DVD réunissant  Paco & John sur la scéne de Montreux en 1987 vient juste de sortir  pour rappeler la complicité partagé par les deux musiciens). Toujours de l'album  "Black Light", c'est ensuite Kiki ou The 4th Dimension explose dans ce qu'il a de plus grandiose avec des parties de guitare totalement virtuose  et des séquences où Garry Husband vient renforcer Ranjit Barot sur une deuxième batterie permettant à celui-ci de se livrer à des parties vocales étonnantes dans le style Konokol .

La dernière partie du concert permettra à chaque musicien d'exposer largement sa technique et les couleurs qui lui sont propres  à travers d'une part la  confrontation musclée de la basse surpuissante de Etienne Mbappé  et de la guitare virevoltante de John McLaughlin et d'autre part  les deux batteurs qui s'affrontent dans un combat pacifique en sortant tour à tour leur arme secrète, des claviers limpides pour Garry Husband et des vocaux venus d'un autre monde pour Ranjit Barot.  

Au global un set d'une rare intensité qui  démontre que John McLaughlin a encore beaucoup de choses à nous dire dans ce style jazz fusion qu'il a contribué à créer à travers ses collaborations avec  Miles Davis.

Gérard Brunel & photos Sébastien Cholier

Au Club de Minuit

Kevin Seddiki & Bijan Chemirani

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Bonus

Episode 9