36ème édition Jazz à Vienne :
Ce qu'il s'est passé le mercredi 29 juin 2016
Une soirée autour de la trompette avec l'hommage à Chet et la formation d'Erik Truffaz mais aussi dès 12h30 la scène de Cybèle
La sélection de Christophe Charpenel
En quelques années Christophe Charpenel, un des "vraitographes" réguliers de l'équipe de Jazz-Rhone-Alpes.com s'est fait une belle réputation dans la communauté des photographes de jazz. Il collabore désormais à de nombreux médias et a réalisé de belles expositions tant en France qu'à l'étranger. Pour cette édition nous lui avons demandé de nous proposer chaque jour sa sélection. La photo qu'il souhaite mettre en avant.
Sandra Nkaké pour "Autour de Chet" au Théâtre Antique
Sur la scène de Cybèle
Le big band de l'Ensemble harmonique d'Oullins
Cette formation dirigée depuis plusieurs années par Carine Bianco a souhaité nous faire voyager principalement entre l'Italie et l'Argentine.
On commence avec un traditionnel toscan puis on traverse l'Atlantique pour Verano porteno d'astor Piazzola avec un arrangement très moderne pour grosse formation. Retour en Italie avec Bella ciao puis O sole mio, musiques qui vont bien avec le soleil qui baigne Cybèle à l'heure du déjeuner.
Un petit détour par les Etats-unis avec I got rythm de Gerschwin avant de finir par une composition de Nicolas Bianco : Tilala, en hommage à toutes les mamans du monde qui ne manquaient pas de substituer des paroles oubliées par ces syllabes.
Le tremplin ReZZo-Focal et ses trois groupes suivants
Rémy Béseau Quintet
Un jeune trompettiste décomplexé qui avance et se fait plaisir
Ses compositions sont fraîches sans être trop inventives. Il s'appuie sur un pianiste alerte et une rythmique sûre.
Il prend soin d'établir un contact avec le public en présentant ses morceaux avec à chaque fois une petite histoire à partager.
(Rémy Béesau: trompette, bugle, compositions ; Pierre Maury: sax ; Edouard Monnin: piano ; Pierre Elgrishi: basse ; Vincent Tortiller: batterie)
David Kozak Quintet
Etonnante formation que ce quintet, où l'on pense que le leader est le trompettiste Nicolas Algans, brillant de bout en bout qui prend la plupart des solos. Il est épaulé par un bassiste des plus solides Pascal Thomas. Et l'on se rend compte que les compositions, bien tournées, sont du pianiste, David Kozak c'est lui, trop discret.
Pascal Derathé & photos Jazz-Rhone-Alpes.com
(David Kozak: claviers ; Nicolas Algans: trompette ; Thomas Koening: sax ténor, flûte ; Pascal Thomas: basse ; Julien Augier: batterie)
Sviti
Trop fort!
Il faut de tout pour faire une monde, c'est ce que se dit le public jeune resté après les premières minutes.
Les watts sont de sortie et les rythmes entêtants avec.
Sviti représente cette jeune génération du jazz borderline qui s'electrise en lorgnant du côté de la techno et du métal.
Les amoureux du groove et du swing ont passé leur chemin.
Il faut de tout pour faire un monde !
Pascal Derathé & photos Jazz-Rhone-Alpes.com
(Renaud Vincent: sax soprano et baryton ; Damien Bernard: batterie ; Romain Bouez: claviers)
Cybèle en soirée
Avec tout ce monde dans les rues de Vienne, la zone de Cybèle est noire de monde et le reste, même entre les concerts.
Tatiana Alamartine & Ossian Macary en duo
"Ô boucles ! Ô parfum chargé de nonchaloir !
Extase !... " (Baudelaire, la chevelure)
Ah, le kiosque à musique de Cybèle ! Y a-t-il quelque réminiscence secrète de mythes païens, lors de ces belles soirées, en ce lieu où il fait bon passer du temps avec quelques amis, partager quelque breuvage apaisant, écouter la pluie venir, regarder les enfants jouer ? Douceur de l'été qui tarde à s'installer vraiment. Le kiosque à musique de Cybèle à Vienne présente ce grand avantage pour les musiciens de la région non ou peu rémunérés de pouvoir jouer devant un public plus large que celui des petits clubs, et au festival d'offrir à très peu de frais une pléiade, un vivier, une pléthore de musiciens dont l'horizon musical est extrêmement varié.
Tatiana Alamartine (piano) et Ossian Macary (trombone) ont choisi (?) de jouer en duo. Telle Agdistis (La Cybèle des Phrygiens) personnifiant la nature sauvage, Tatiana propose, loin de la culture conventionnelle du jazz usiné dans les conservatoires, de laisser s'exprimer son intériorité dans ses compositions.
"Ce ne seront jamais ces beautés de vignettes,
Produits avariés, nés d'un siècle vaurien,
Ces pieds à brodequins, ces doigts à castagnettes,
Qui sauront satisfaire un coeur comme le mien."... (Baudelaire, l'idéal)
Nous entendrons aussi quelques compositions d'Ossian et deux thèmes du répertoire de jazz (Here's that rainy day de Jimmy van Heusen, et Elm de Richie Beirach. La main gauche de la pianiste propose quelques lignes de basse ici et là, sur une piano électrique Nord, dont le son Rhodes est plutôt étonnant. Le jeu se veut rhapsodique plus que rythmique. De Tatiana : Fdou , Playground, Basket-ball, Prisme. Ossian déploie ses thèmes -T'es où ?, Duo, et ses figures. L'heure est à la sérénité et au calme. Les enfants, en tirant la langue, continuent de tournoyer avec bonheur autour du kiosque. La pluie s'annonce et la nuit vient. Mais nous ne sommes pas "entre chiens et loups". C'est plutôt la belle heure à Cybèle, qui ne demande qu'à déployer ses fastes et sa légende. N'est-elle pas aussi la "gardienne des savoirs" ?
Bernard Otternaud & photos Jazz-Rhone-Alpes.com
Bronx'Tet
"La musique souvent me prend comme une mer !
Vers ma pâle étoile,
Sous un plafond de brume ou dans un vaste éther,
Je mets à la voile;"... Baudelaire, La musique
Depuis quelques temps déjà, j'avais vu passer le nom de ce quartet dans les petites salles de jazz : le BronXtet comme le jeu de mot de son nom est bien une formation de la région que je m'étais promis d'aller voir, soucieux de chercher les talents ailleurs que sur les grandes affiches à la mode. L'occasion m'étais donnée au kiosque de Cybèle ce mercredi 29 juin, puisque Vienne propose de faire jouer sur ses scènes parallèles, pour les applaudissements et la gloire d'un moment, les musiciens de notre région. A défaut de vivre de son cachet le musicien de jazz ne peut pas, pour être heureux vivre toujours caché... Avec les amateurs, nous pouvons parfois nous attendre au meilleur puisque... amo amas amat, c'est j'aime, tu aimes, il aime...
Ce fut le cas ici, pour plusieurs raisons.
D'abord le talent de ses musiciens et en premier lieu de son chef d'orchestre et compositeur, François de Larrard au piano électrique (écouter son interprétation de Ether sur You tube dans un climat intimiste et la magnifique introduction qui suppose évidemment un bel instrument), de Julien Couvrechef au saxophone ténor et soprano, volubile et précis, de Jean Paul Goutenoire à la contrebasse, solide dans les contrechants, pizzicatti ou à l'archet, (ah, la jolie valse à l'archet !) comme dans les walking, et Laurent Pancot à la batterie, qui drive bien son affaire, avec énergie et beaucoup de finesse.
Ensuite les compositions de François de Larrard, d'une grande originalité, extrêmement construites et exigeantes, bourrées d'harmonies très modernes -nous devinons une culture pianistique très contemporaine-, de changements rythmiques, de climats variés. Et c'est Colimaçon, Janus, Tony truand, l'Incidente, Alliance fatale, Poissons volants, Elis, Train to the sky, Un temps festif intempestif. L'imagination et la culture ne manquent pas On ne s'ennuie pas un instant d'autant plus qu'au saxophone Julien sait retenir l'attention (ah le petit boléro taillé pour lui !). Evidemment ces thèmes sont exigeants, parfois difficiles. Mais le travail de répétition est là. La clarté et la précision sont au rendez-vous et cette musique qui ne frime pas est captivante.
L'humilité des musiciens enfin, est à la hauteur des exigences de la musique désirée et proposée
"Je suis belle, ô mortels ! Comme un rêve de pierre,
Et mon sein, où chacun s'est meurtri tour à tour,
Est fait pour inspirer au poète un amour
Éternel et muet ainsi que la matière"... (Baudelaire, la Beauté)
Je trouve personnellement cette aventure passionnante et pleine de sens. Je connais pas mal de musiciens amateurs d'un certain âge qui se reposent sur des lauriers que jamais ils n'eurent d'ailleurs, ou se contentent de dévider le même "new orleans" qu'ils fatiguent depuis 50 ans à coup de flagadas mous du genou et autres joyeux pistons à la débandade. Le BronXtet, c'est l'antidote de cette attitude. Je crois, mais cela se discute, qu'il ne considère pas la musique de jazz comme un divertissement aimablement consommable, mais comme un Art (quoi ? un gros mot !), avec toute l'humilité que ce terme suppose. Baudelaire n'avait-il pas noté qu'un idéal fait de son chevalier servant son féal ?
Aussi, beaucoup de rigueur dans la démarche, une déraison amoureuse peut être un peu trop contrôlée mais parfois furieusement efficace (oh, vous n'étiez pas là ! Zut ! écoutez sur You tube le thème Portos s'interroge une belle leçon de métaphysique et d'humour, avant que le ciel ne lui tombe sur la tête).
Quoiqu'il en soit de ces partis pris, je note que le public de 23 h à Cybèle était encore là, malgré la pluie. Ah, la dérision et le cynisme n'ont pas toujours le dernier mot !
Bernard Otternaud & photos Jazz-Rhone-Alpes.com
Au Théâtre Antique
Autour de Chet - Hommage à Chet Baker
Disparu en 1988 à l'âge de cinquante neuf ans après une vie quelque peu chaotique mais artistiquement très riche, le trompettiste et chanteur Chet Baker a déjà fait l'objet de nombreux hommages. Dans les plus récents, il faut compter celui de Riccardo Del Fra (un temps le contrebassiste de Chet) avec son album "My Chet my song" (Crystal Records 2014) et celui de Stéphane Belmondo qui fut son ami avec "Love for Chet" (Naïve 2015). Très récemment (avril 2016), c'était au tour du label Verve et du réalisateur Clément Ducol de proposer l'album "Autour de Chet" avec un casting de rêve réunissant pas moins de six trompettistes et une dizaine de chanteuses et chanteurs solidement soutenus par un quartet constitué de Bojan Z (piano), Cyril Atef (batterie et percussions), Christophe Minck (basse et harpe) et Pierre Francois Dufour (violoncelle). Ce soir, avec Ricardo Del Fra en maitre de cérémonie sachant trouver les mots pour dire son émotion d'avoir partagé amitié et collaborations artistiques avec Chet, la quasi intégralité des musiciens d' "Autour de Chet" est réuni sur la scène du Théâtre Antique pour la première en live du projet avec pas moins de quatre trompettistes Airelle Besson, Stéphane Belmondo, Erik Truffaz et Luca Aquino , trois chanteuses : Sandra Nkakké, Camelia Jordana et Yael Naïm et trois chanteurs José James, Hugh Coltman et Piers Faccini. Le quartet d'accompagnateur est également au complet enrichi même d'un quatuor à cordes.
Selon le principe de l'album, toutes les combinaisons possibles de duo réunissant un(e) trompettiste et un(e) chanteur(se) vont se succéder, certaines même inédites par rapport à l'album ou dans des associations différentes. Lorsqu'ils ne sont pas directement en action, les artistes peuvent rester sur scène dans un petit coin salon aménagé pour accentuer la dimension collective et conviviale du projet. La première émotion musicale partagée tant par les musiciens que par le public a lieu sur Nature boy qui réunit Airelle Besson et le chanteur américain José James très inspiré par cette composition, ici délicatement enveloppé par le quatuor à cordes et le jeu brillant de la trompettiste. Parfaitement soutenu par Erik Truffaz, la chanteuse Camelia Jordana apportera toute la délicatesse et tendresse souhaitable sur The trill is gone ; le trompettiste renouvellera son soutien sans faille derrière le chanteur Hugh Coltman pour un émouvant Born to be blue ainsi qu'avec le duo inédit Yael Naïm et Sandra Nkakké sur Moon and sand.
Après que Ricardo Del Fra nous ait rappelé que ce n'est pas Chet Baker qui a écrit le thème qui lui colle pourtant à la peau My funny Valentine (ce sont Richard Rodgers et Lorenz Hart les compositeurs), il revient à Stéphane Belmondo de s'emparer magistralement de ce thème chanté par Yael Naïm, également à la guitare. Airelle Besson est de retour avec Sandra Nkakké pour un superbe moment de grande complicité féminine sur Grey december. C'est la trompette de Luca Aquino qui aura le dernier mot ce soir, d'abord aux côtés de Camelia Jordana pour un délicat I get along without you very well qui convient bien à la tendre fragilité de la chanteuse surtout quand elle est juste soutenu par quelques sifflotements dans le micro ; surtout le trompettiste excellera derrière le chanteur guitariste Piers Faccini qui donne une version totalement bouleversante et envoutante de Taste of honey qui remporte l'adhésion du Théâtre Antique et certainement aussi celle de l'esprit de Chet Baker qui reste toujours présent en ce lieu depuis le concert qu'il a donné ici en 1985. C'est certainement aussi ce même esprit qui a fait en sorte que ce soir l'orage tourne autour du Théâtre Antique sans véritablement éclater pendant le set laissant toute la place à la musique, à la beauté et à l'émotion qui furent souvent au rendez-vous.
Gérard Brunel & photos Sébastien Cholier
Erik truffaz Quartet
Sans changement fondamentaux, la musique d'Erik Truffaz évolue au fil du temps, toujours plus précise, plus épurée, avec une trompette qui tend vers une espèce de fusion spirituelle, sur fond de rythmique magmatique et pulsionnelle souterraine, toujours à la limite de l'éruption dévastatrice, mais toujours suffisamment contrôlée pour faire œuvre d'élément essentiel de la vitalité de la musique du quartet.
Entre la trompette apollinienne et le drum'n'bass dyonisiaque de Marcello Giuliani et Arthur Hnatek, les claviers de Benoît Corboz ourdissent un tissu de liens serrés qui contribue à l'unicité de la musique d'Erik Truffaz. La voix grave, un peu triste, d'Oxmo Puccino se fond bien dans le paysage musical développé par le groupe. Les mots volent et leurs choix sont autant de séquences mélodiques que des éléments de la partition rythmique qu'impose la scansion des vers et le phrasé du chanteur.
Il n'est peut-être pas très juste de parler d'évolution sans changement fondamental, puisqu'il en est un de taille avec le départ du batteur historique Marc Erbetta et l'arrivée d'Arthur Hnatek, dont nous avions remarqué le jeu incisif et puissant chez Tigran. Son apport n'est sans doute pas neutre dans l'aspect de transe hypnotique que prend la musique de Truffaz.
Une petite note de regret pour finir, l'absence de Rokia Traoré, sa présence aurait sans doute renforcé cette dimension africaine qui transsude de la musique de ce projet.
La musique d'Erik Truffaz est toujours aussi saisissante, malgré et peut-être à cause de cette apparente légèreté qui confine à l'insoutenable dont parle Kundera. Tout paraît simple et pourtant, il y a des paysages infinis dans son jeu et dans sa musique. On peut y apercevoir des montagnes.
Michel Mathais & photos Sébastien Cholier
Les improvisations picturales par l'association Solo Sari
En marge des concerts de Cybèle, plusieurs fois durant le festival cette association propose à un tandem de peintres de réaliser une toile de un mètre par un mètre en direct sur la musique.
Bonus

La galerie de photos de Jazz-Rhone-Alpes.com
Les concerts du mercredi 29 juin 2016 à Vienne
Big band d'Oullins ; Rémy Béeseau Quintet ; David Kozak Quintet ; Sviti ; Tatiana Alamartine & Ossian Macary Duo ; Bronstet ; "Autour de Cet" ; Erik Truffaz Quartet
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