35ème édition Jazz à Vienne :
Ce qu'il s'est passé le vendredi 10 juillet 2015
Le croquis et la chronique de François Robin
Milteau & Bibb. The House of Risin' Sun.
Même s'ils bénéficient d'un peu de fraîcheur dans le logement du directeur du Louisiana State Penitentiary d'Angola, la touffeur fait perler la sueur du front d'Alan Lomax. A côté du jeune homme de dix-huit ans, son père John semble, lui, totalement insensible à la chaleur de juillet, absorbé par le phonographe enregistreur - sa dernière acquisition - un monstre ultra perfectionné de cent cinquante kilos qu'ils ont transporté jusqu'ici dans le coffre de la Ford. En face d'eux, un grand noir chante en s'accompagnant d'une guitare à douze cordes :
"There is a house in New Orleans
They call the Rising Sun."
L'homme s'appelle Hubddie Ledbetter. Ses amis le surnomment "Leadbelly", "ventre de plomb". Il est un des trop nombreux Afro-Américains qui peuplent en 1933 les prisons du pays, dans un Sud où un noir qui se défend est accusé de tentative de meurtre. C'est aussi un chanteur remarquable qui connaît une part impressionnante de la mémoire des works songs, blues, ballades et autres rells que les compagnons de chain gang* scandent pour se donner du cœur.
Le musicologue John Lomax est déjà célèbre. Il s'est illustré en publiant en 1910 Cowboy Songs and Other Frontier Ballads une anthologie de chansons folkloriques de ce type dont l'introduction a été signée du président Theodore Roosevelt lui même. S'il a choisi, pour cette nouvelle collecte ethnologique, de rencontrer ces prisonniers de longue peine, c'est qu'il est convaincu que leur isolement des soubresauts du monde lui garantira un accès à un répertoire quasiment vierge de toute influence. Il est persuadé aussi que cette musique des noirs du Sud est à la source d'une grande part des styles de la musique américaine.
Le jeune Alan observe le musicien, port élégant malgré le costume de bagnard : il doit plaire aux femmes. En lui-même, il se fait cette promesse : il fera sortir Leadbelly de prison et le conduira vers la gloire**.
La gloire, Jean-Jacques Milteau l'a déjà. Depuis sa première Victoire de la Musique en 1991 pour son album "Explorer", l'harmoniciste qui a fait ses débuts en 1977 avec Eddy Mitchell a enchaîné les succès. Du rock à la soul, en passant par un blues souvent nettement électrifié, il a beaucoup changé de style, au gré des rencontres, conservant le souffle puissant et rageur qui est sa patte. Pourtant, il adopte aujourd'hui un jeu très inspiré, presque minimaliste, attentif et atmosphérique, tout au service de la voix profonde de l'élégant guitariste qui, à ses côtés, semble emplir toute la scène. Il faut dire qu'Eric Bibb en impose. De cette autorité des grands regards qui disent les grands espaces, la conviction d'une liberté enracinée dans le chant des hommes. Sous le panama immaculé qui souligne la beauté brune de ses traits, le temps semble s'être arrêté, fixant dans un éternel présent l'héritage du folk-blues, une Amérique noire ample et silencieuse, chantée par ce ménestrel d'un autre continent, d'un autre temps. Après le déferlement sonore des deux précédents concerts, au service d'un blues-rock bavard et bruyant, l'assistance se soumet instinctivement à cette assurance silencieuse et souriante. Derrière lui, le bassiste et le batteur en font le minimum. Milteau croise son regard, Bibb égrène sur sa guitare quelques notes d'un parfait minimalisme et nous chante l'histoire maintes et maintes fois transmise dans la fraternité des prisonniers :
"There is a house in New Orleans"
François Robin, texte & illustrations
*groupe de prisonniers enchaînés ensemble et contraints d'effectuer des travaux forcés.
**il sera effectivement gracié l'année suivante grâce à une pétition remise au gouverneur par les Lomax.
Voir la page Facebook de François Robin
Du coin de l'œil de Daniel Peyreplane
Lisses, tondus, accidentés,
Et fort bronzés,
Un point commun ...
Aucun ne joue au billard ...
Sur la scène de Cybèle
L' atelier intensif qui dure neuf jours est composé de trois groupes pris en charge par trois professeurs musiciens professionnels
L'atelier de Leila martial propose trois créations vocales a base de hip-hop de vocalise sur des textes "réalistes" remaniés par les stagiaires et des arrangements "maison" : Un mix de Ocus Pocus et Strasbourg st-Denis, un arrangement de In walked bed puis Close your eyes
L'atelier d'Enzo Carniel : Song for Bilbao de pat Metheny puis un hommage au saxophoniste récemment disparu Ornette Coleman avec Lovely woman, et un surprenant chorus au basson. Leur dernier morceau sera une reprise d'Electro Deluxe Point G.
Le groupe piloté par Guillaume Naturel entame sa partie avec un classique Lullaby of birdland puis Four de Miles Davis,leur dernier morceau sera Crazy Race puis G4 d'Electro Deluxe, encore, avant un final en tutti sur Dear Prudence de la belle époque du Power of flower.
Après un passage remarqué lors du concours RéZZo Focal et avant le Péristyle de l'Opéra de Lyon du 20 au 22 août, Nora Kamm reprend possession de la scène de Cybèle. Ce vendredi après-midi, elle vient en quartet : Thibaud Saby est au piano, Yann Phayphet à la basse et Marc Michel à la batterie.
Nora entame le concert par le dessert ! Strawberry cake offre la chaleur d'accents reggae. Le voyage se poursuit avec 7 retards sur 8, clin d'œil de Thibaud à la SNCF... La valse allemande de Nora explore d'autres rythmiques. Une superbe improvisation (sans les garçons) permet à Nora de montrer qu'elle ne manque ni de souffle, ni de talent. C'est en présence de ses complices qu'elle nous conte Life of Lion avant de conclure ce trop court set par Les chèvres de Vera.
Cette formation permet d'explorer des lignes rythmiques diverses puisées aux quatre coins d'un monde sans frontière. Une si belle prestation a enchanté un public qui en aurait bien repris quelques mesures ! Mais à Cybèle, la mesure des quarante cinq minutes se doit d'être respectée. Profitons-en pour saluer le professionnalisme qui anime tous ces techniciens devenus maîtres des décibels.
Christian Ferreboeuf & photos Nathalie Jamais
Un numéro de cabaret blues bien rodé qui galvanise le public.
A deux il viennent sur scène avec une bonne dizaine d'instruments qu'ils échangent tout au long du set.
Un répertoire hybride qui emprunte au folk au blues au rock et un peu au funk.
On reconnaitra entre autres : Kiss (de Prince), Highway To Hell (d'AC/DC) et une "chanson d'amour" : Casse toi.
Amusant et bien fait.
On continue à se mettre en jambe en prévision de la soirée blues du Théâtre Antique. Ces jeunes du Steady Rolling Men font monter les watts et envoient un blues punchy et vitaminé.
Emmanuel Duvillard et Guillaume Ménard nous offre un duo charmant, lui à l'orgue elle au chant.
Emmanuelle Duvillard ne nous est pas inconnue elle participe aux côtés des ses sœurs au groupe Sparkling Voices.
Ils reprennent des standards comme You don't know what love is ou un thème de Purcell reharmonisé par la chanteuse.
Un duo d'une rare élégance où la voix d'Emmanuelle nous enchante, une très belle technique vocale alliée à une inspiration du même tonneau.
Un moment de fraîcheur sur cette scène de Cybèle qui se remet tout juste des ardeurs du soleil .
Les improvisations picturales
Chaque jour, à côté de la scène de Cybèle, deux artistes peintre se livrent à un exercice de style: ils disposent d'une toile de 80cm par 80cm. A eux de traduire avec leurs pinceaux ce qu'ils ressentent. Au total dix-huit peintres se livreront à cet exercice durant le festival.
La cuvée du jour: Evelyne Dubour et Hélène Marano-Lefèvre
Au théâtre Antique : la soirée Blues
Il revenait à ces pointures de la scène blues française d'ouvrir la soirée au Théâtre Antique en set découverte. Il faut dire que les six musiciens qui composent le "French Blues All Stars" ne sont pas des débutants : ils ont joués derrières quelques têtes d'affiches du blues international (Louisiana Red , Chuck Berry...) ou hexagonal (Benoît Blues Boy, Patrick Verbeke, Bill Deraime) constituant ainsi un super groupe à l'image des all stars américains qui viennent régulièrement visiter le vieux continents. Autour du batteur Simon "Shuffle" Boyer et du bassiste Thibaut Chopin, French Blues All stars est un collectif de six musiciens avec deux guitaristes Anthony Stelmaszack et Stan Noubard-Pacha , le piano orgue de Julien Breunetaud et l'harmonica et voix du leader Youssef Redmana.
Comme sur leur album "Live in Paris", ils donnent un set rudement efficace où le rôle de chanteur leader change pour chaque morceau, ainsi que parfois celui d'harmoniciste ; ils ont recours à un répertoire électrique qui fait autant appel au blues de Chicago, du Delta qu'au blues de Californie en regardant du coté de Buddy Guy, Willie Dixon que de Lowell Fulson. Leur version du Sweet on you babe de Billy Boy Arnold est en tout point remarquable. Une mise en place parfaite pour ouvrir idéalement une soirée blues.
Gérard Brunel & photos Karine Brun
Greg Zlap est l'harmoniciste le plus demandé en France, tous genres musicaux confondus. Jean-Jacques Milteau qui l'a découvert, lorsqu'on lui demande si c'est son élève répond que c'est plutôt son successeur. On veut bien le croire, l'harmonica que l'on entend sur les albums et dans les tournées de Johnny Hallyday depuis 2004, c'est lui, comme on l'entend derrière beaucoup de chanteurs français et non des moindres, Aznavour, Pagny, Cabrel, Noah, Eddy Mitchell et d'autres encore. De même son travail pour le cinéma est plutôt conséquent. Si l'on rajoute à cela le spectacle pour enfants L'épopée du Souffle, le travail pédagogique (école et méthodes d'harmonica), les ateliers pour enfants asthmatiques en milieu hospitalier et les tournées, comme soliste, avec l'orchestre symphonique de Wladimir Cosma, on voit que Greg Zlap est quelqu'un de très dynamique.
Le dynamisme il en a en réserve, c'est ce que l'on observe sur la scène, pas de temps mort, rapide mais sans précipitation, les permutations d'harmonicas à chaque changement de tonalité se font à la vitesse de l'éclair, lorsqu'il s'adresse au public il parle vite et clair, pas de blabla, les morceaux s'enchaînent bien, des compositions personnels, dont certaines en français, quelques reprises, comme Soul of Man ou Il était une Fois dans l'Ouest. Vous ajoutez un jeu de scène très rock et un groupe qui joue plutôt rock bluesy que blues-rock et vous avez une idée du spectacle, ça roule. Petit bémol, le groupe joue un peu fort pour l'harmonica et lors de quelques recouvrements de tessiture le son de la guitare et de l'orgue recouvre totalement le son de l'harmonica quand il descend dans les graves, tout au moins dans la première partie du spectacle.
Greg Zlap est un personnage éminemment sympathique, amoureux du blues depuis toujours et qui le proclame avec brio à travers sa musique. Maestro de l'harmonica il tire de ses instruments à peu près ce qu'il veut, sans que ça tourne à la démonstration, la virtuosité est au service de la dimension poétique. C'est un vrai plaisir. Sa simplicité fait le reste, le contact avec le public est naturel, au point qu'il arrive à lui faire chanter du blues en polonais Niech Poplyna Lzy, exceptionnel.
Michel Mathais & photos Karine Brun
Eric Bibb & Jean Jacques Milteau "Hommage à Lead Belly"
Ensemble ou séparément Eric Bibb et Jean-Jacques Milteau n'en sont pas à leur premier passage sur la scène du Théâtre Antique, par contre c'est carrément une avant-première qu'ils ont réservé à Jazz à Vienne pour un hommage encore inédit au troubadour Lead Belly qu'ils viennent juste d'enregistrer et qui devrait paraitre en octobre s'annonçant déjà comme un album marquant de 2015. C'est le producteur Philippe Langlois qui a eu l'idée de réunir l'harmoniciste reconnu et recherché Jean-Jacques Milteau avec l'artisan du renouveau du blues acoustique Eric Bibb pour cet hommage à Lead Belly, en sachant que l'entente musicale entre les deux musiciens a déjà largement fait ses preuves.
Il faudrait un ouvrage complet pour raconter l'histoire de Lead Belly et son apport au blues, au folk et au rock et à toute la musique populaire en général , lui qui a été repris par Bob Dylan, Frank Sinatra, Kurt Cobain, Tom Waits, John Fogerty ... Né dans le Sud profond en 1889, très tôt musicien et chanteur, il mène une vie très dissolue fréquentant les bouges de campagne à jouer, boire, séduire les filles et connait rapidement la prison. Il se bâtit une réputation de musicien autour de 1910 en parcourant la Louisiane et le Texas. En 1915 il est condamné à un an de prison suite à une rixe mais c'est surtout en 1917 qu'il abat un rival et se trouve condamné à trente ans de bagne. Là il est vite repéré par ses gardiens comme musicien et chanteur ce qui remonte jusqu'au gouverneur du Texas, un passionné de folk qui le gracie après sept ans de pénitencier. Il replongera cependant en 1930 et en reprend pour dix ans au tristement célèbre pénitencier d'Angola cette fois. C'est là qu'il sera repéré par l'ethnomusicologue John Lomax qui réalise les premiers enregistrements de Lead Belly en prison contribuant à le faire connaitre largement obtenant même sa libération en 1934 à condition de se porter garant de sa bonne conduite. Installé à New York, il connaitra des hauts et des bas enregistrant sur les labels ARC et Folkways, se faisant découvrir par le public blanc de Greenwich Village ou il devient le troubadour raconteur d'histoires reconnu aujourd'hui comme une figure fondatrice du courant folk aux côtés de Woody Guthrie, Pete Seeger, Brownie Mc Ghee et Sonny Terry avec lesquels il partage scène et enregistrements. En 1949 il se produira en France à la Cité Universitaire, et il décédera fin 1949 à New York. En 1950 sa composition, Good Night Irène reprise ici ce soir en final du concert d'Eric Bibb & JJ Milteau connaitra un grand succès en rentrant dans le Top 40 US.
Accompagné par le batteur Larry Crocket et le bassiste Gilles Michel, c'est à un parcours choisi d'une dizaine de compositions ou traditionnels popularisés par Lead Belly que Jean-Jacques Milteau et Eric Bibb nous convient en nouveaux troubadours d'aujourd'hui. Ils revisiteront ainsi Blues, Grey Goose, On a Monday, Stewball, ainsi que des titres maintes fois repris par toute la planète musicale House of the rising sun créé par Lead belly sous le titre New Orléans Song, Where did you sleep last night, my girl et Midnight Special.
Avec Goin' down slow c'est un hommage à B.B. King qu'on voulut rendre nos deux bluesmen, très à l'aise sur ce titre qui leur permet de mettre en avant autant leur technique que leur complicité. En rappel ce sera le classique d'Eric Bibb Don't ever let nobody drag your spirit down qui sera le prétexte à une jam improvisé avec les trois harmonicistes de la soirée Youssef Remadna , Greg Zlap et bien sur Jean-Jacques Milteau, ancrant tout autant ce concert sous le signe de Lead Belly que celui du blues éternel.
Gérard Brunel & photos Karine Brun
La galerie de photos de Jazz-Rhone-Alpes.com
Les concerts du vendredi 10 juillet 2015 à Vienne
Atelier "Intensif" ; Nora Kamm Quartet ; Beauty & Beast ; The Steady Rolling Men ; Echoes of a Band ; Trio La&Ca ; French Blues All Stars ; Greg Zlap ; Jean-Jacques Milteau & Eric Bibb
(Les photos publiées ici ne sont pas libres de droit et appartiennent à leurs auteurs qui seuls peuvent vous accorder un droit de reproduction. Si vous souhaitez en utiliser une ou plusieurs, prendre contact avec la rédaction de Jazz-Rhone-Alpes.com)
