35ème édition Jazz à Vienne :
Ce qu'il s'est passé le mardi 7 juillet 2015
Le croquis et la chronique de François Robin
Avishai Cohen. Voulez-vous danser Grand-Mère ?
L'œuvre-tube de Prokofiev a déjà vingt ans lorsqu'en 1956 Jacques Cannetti, alors directeur artistique de la maison Philips, demande à André Popp de créer un successeur au conte musical pédagogique "Pierre et le Loup". Plutôt que d'adapter une partition existante, ce qui était l'idée première de la commande, le compositeur préfère s'orienter vers une création originale. Il demande alors à son ami Jean Broussolle de lui écrire un scénario. Ce sera une histoire de familles, celles des instruments dans le Royaume de la Musique. Quelques mois plus tard, "Piccolo, Saxo & Cie" obtenait le Grand Prix de l'Académie du Disque. Il y a fort à parier que le rôle attribué à la belle voix grave de la contrebasse n'est pas totalement étranger au sobriquet dont elle est affublée: la "Grand-Mère".
Le contrebassiste est toujours un sujet de choix pour un dessinateur. Chaque instrumentiste a son attitude : aristocratique ou familière, stoïque ou volubile, précieuse ou langoureuse. Avishai Cohen, lui, est un danseur. Un danseur énergique, un de ces jeunes gens riants qui invitent les aïeules pour le bal des mariés, déclenchant dans les yeux ridés le pétillement joyeux que leur offre la jeunesse. Le contrebassiste israélien connait toutes les danses. De la valse à la polka, de la bourrée au tango, il fait tournoyer la grand-mère, la serre - une main sur l'épaule et l'autre sur la hanche - l'entraine dans un pas de deux étourdissant qui la laisse toute chavirée lorsque la musique s'arrête. Elle semble alors reprendre son souffle, abandonnée dans les bras de ce géant blond, pantelante, vibrante encore.
Le corps du danseur respire la santé. Avishai Cohen a quelque chose de ces voyageurs du soleil, sculptés par le sable et la mer, visages marqués par la lumière. Son regard porte au loin, habité par le souvenir de la dernière oasis, fixé déjà sur la trace de la piste, l'appel du voyage. Les années ont affirmé son propos. Alors qu'on pouvait s'interroger sur ses dernières évolutions vers un jazz international plus consensuel, il semble que le syncrétisme avec ses influences moyen-orientales, espagnoles et latines ait gagné en cohérence. La couleur est plus profonde, la rythmie complexe est devenue moins exhibitionniste, gagnant en architecture, les harmonies se mélangent plus finement, créant une musique puissante sans rien renier de l'onirisme premier. Une sérénité nouvelle est venue qui, sans perdre pour autant l'énergie de la jeunesse, prend la distance nécessaire avec la frénésie des premiers émois. On pourrait appeler cela de la sagesse. C'est très certainement une forme de maturité. Ce qui transforme l'amusement du flirt sans lendemain en quelque chose de plus profond, une pression des doigts plus douce, un geste plus ample, une façon d'emmener votre partenaire plus au large.
En prenant de l'âge, on porte un regard plus fin sur les aînés, cherchant sous les rides et les effacements l'éclat lumineux d'une jeunesse qui n'a jamais vraiment disparu. En entrant sur scène, Avishai, après avoir salué le public, se dirige sans hésitation vers le bois galbé qui l'attend, caressé par la lumière des spots. Un regard vers ses musiciens ; il invite sa contrebasse :
"Voulez-vous danser Grand-Mère ?"
François Robin, texte & illustrations
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Du coin de l'œil de Daniel Peyreplane
Crash en bière.
Sur la scène de Cybèle
Un spectacle très musical, 100% jazz dédié jeune public.
Depuis plusieurs années on assiste au développement de ce genre musical avec comme corolaire une qualité accrue, on est désormais bien loin des spectacles "de patronnage" un peu tartignole.
La batteuse Lydie Dupuy s'est attaché à construire une histoire qui va droit au cœur joliment mise en voix par Melina Tobiana qui enchante petits et grands. Il y est question de bonbons, de plumes, de petits frères, de petites sœurs, du gros ventre de maman qui attend le prochain.
La musique est résolument jazz et joliment interprétée par des musiciens que l'on a l'habitude de voir dans les clubs et sur les scènes : Vincent Périer, sax et clarinette ; Rémi Ploton, piano et Julien Sarazin, contrebasse.
La troupe va même proposer un mini cours de percussions corporelles a l'auditoire avant de finir le set.
La faute à "pas de chance". La pluie s'est mise à tomber (un peu mais avec vigueur) juste avant le solo du pianiste Jean Kapsa. Une pluie qui n'a eu aucun intérêt, elle n'a même pas rafraîchi l'atmosphère et a dissuadé de nombreux spectateurs de venir à Cybèle. Et pourtant le set fut de qualité.
Jean Kapsa va chercher ses inspirations sur un spectre assez large puisque qu'il nous proposera sa version de la Sonate n° 16 de Mozart puis un thème de Fauré, mais aussi chez le chanteur américain John Mayer dont il reprendra Stop the train. (à un "t" près ça donnait "Stop the rain")
Bien sûr il nous offrira ses compositions: L'alliance, Don't speak too soon ou encore le Le typographe (extrait de son dernier album en trio avec Antoine Reininger et Maxime Fleau : "La ligne de Karman", à écouter de toute urgence).
Au cours de ce set en solo, il nous promènera dans des ambiances calmes puis saura faire gronder le piano avec une puissance assez rare témoignant de sa maturité à l'instrument.
Sur le papier c'est un trio, ça commence en duo (le chanteur est coincé entre Lyon et Vienne) et ça envoie d'entrée du lourd. Guillaume Séné aux sax et aux machines et Pierre Dandin au trombones, coquillages et machines, s'activent pour créer leur "loops" et préciser ainsi les contours de leur univers.
Avec Sax Machine on file vers le funk, la soul avec une bonne dose de groove.
Arrive le chanteur RacecaR, il entre en scène sans hésiter et pour rattraper le retard se lance dans une belle série façon hip-hop, pas le truc agressif, non lui c'est plutôt la musique des mots.
Ce trio nous a bien regonflé les batteries.
Drôle de mariage que la batterie et le vibraphone. Ce projet, Seb Necca le murît depuis plusieurs années et il est passé à l'acte l'année passée en le proposant à son ami vibraphoniste Sylvain Charrier qui a été de suite emballé.
C'est donc une première ce soir et le résultat est plutôt probant. Sylvain Charrier ajoutant des machines à son vibraphone ce qui confère à l'ensemble une empreinte moderne.
On retrouve le trio guitare orgue batterie tenu respectivement par Gregory Aubert, Camille Thouvenot et Josselin Perrier.
Le répertoire a peu évolué depuis leur passage au Sirius, on retrouve des grands standards du genre manouche réarrangés pour la formule : Songe d'automne, Djangology, Danube, Blue drag ou encore Vous et moi (Bosmans).
Nous avons apprécié les remerciements adressés aux techniciens : Filochard à la lumière, Croquignol au son et Ribouldingue à la technique ce qui a bien fait marrer les concernés.
Au théâtre Antique
La musique d'Avishaï Cohen ressemble à son auteur : carrée, posée, enjouée, terrestre, extravertie, dansante. Elle est lyrique, avec son swing particulier et son chant perpétuel. Avishaï Cohen aime chanter et danser sur sa contrebasse. On le reconnait à la première écoute. Il a l'art des mélodies joyeuses ou nostalgiques, aux accents traditionnels orientaux, que le piano développe avec force ornements et broderies. Le trio, avec lequel il « tourne » depuis quelques années, joue énormément et arrive malgré tout à conserver une fraicheur et l'envie de jouer. Il y a une écoute mutuelle, cette part donnée au silence, qui met chaque artiste en valeur. Le son de la contrebasse séduit par sa puissance. Avishaï Cohen caresse la mélodie, parfois la dégomme, la décale, laisse résonner, surprend constamment l'autre mais le soutient d'une manière parfaite. Le pianiste Nitai Hershkovits est un artiste complet, avec une sonorité, un toucher et une approche harmonique digne des plus grands pianistes actuels. Quel bonheur de le voir croiser le fer avec le batteur Daniel Dor, lui aussi musicien accompli, improvisateur, maitre es tambour. Avishaï Cohen tient là un de ses meilleurs trios.
Pour ce concert à Vienne, il s'est adjoint les services de trois improvisateurs hors pair, véloces et pétris de musicalité, (une mention spéciale à Kurt Rosenwinkel), prétexte à des arrangements vifs et efficaces qui ont fait monter progressivement la tension et la chaleur déjà bien installée. Voilà ce qu'on appelle des artistes engagés.
Laurent Brun
George Benson revient à Vienne pour nous présenter son "Tribute to Nat King Cole", correspondant à son récent album éponyme. Pour nous et peu d'autres dates il s'est doté d'une section de cordes, amenant la formation à une vingtaine de musiciens sur scène, organisée sous la houlette de Randy Waldman, longtemps second de Barbara Streisand.
Le morceau d'introduction à la guitare nous remémore la période des seventies de George, phrasé jazz mélodieux à la guitare, arrangement légèrement "funkifié".
La rupture est brutale après le jazz pur et dur d'Avishai Cohen juste avant, et même si ce dernier a terminé mélodiquement avec Alfonsina y el Mar.
Ensuite débute l'hommage à Nat King Cole ; on oublie les dernières aspérités funky et c'est parti façon crooner + big band avec Walkin' my baby back home.
Force est tout de même de reconnaître que George a travaillé les intonations afin de coller à son modèle...karaoké ? Non, hommage.
Nature boy et autres tubes-à-Nat, torrents de miel, diabétiques s'abstenir.
Sans doute par crainte de perdre les clients venus chercher du plus musclé, George annonce qu'après le "Tribute" on fera une "George Benson Party".
George va au bout de la logique du chanteur et nous voilà même dans un duo romantique à souhait avec Liliana ( c'est la Reine de Neiges, me dit un collègue sarcastique ).
Une petite bouffée bluesy pour survivre avec Route 66, qui permet d'entrevoir le côté "trapu" de la formation, solos de guitare et de piano..ouf.
Un dernier Smile et on passe à la Party.
Avishai ayant travaillé pour la tête, Nat pour le cœur, on espère que George va s'attaquer au popotin.
George explique qu'il a voulu faire ce "Tribute" parce qu'un de ses premiers hits c'était du Nat : et de nous sortir une version bensonifiée de Nature Boy...pas mal !
Après ce bon démarrage, qui vire un peu disco mais tant pis, on retombe, snif, dans le slow, et quand le rythme ré-accélère avec In your eyes, on voit le solo de guitare sous-traité à Michael O'Neal...bon, mais force est de constater que le héros est fatigué.
Du coup je me demande si le choix du tout premier morceau à la guitare n'est pas lié au fait que les photographes accrédités n'avaient droit à shooter que les trois premiers morceaux... faut que la guitare apparaisse sur les photos !
Give the night a toujours du charme et fait danser les filles ; bon solo de George, tu vois quand tu veux !
Rappel long avec deux crooner-slows d'abord, je ne suis toujours pas fleur bleue, puis On Broadway : le George que l'on aimait, avec cette tension jazzistique, ce rythme funky corrosif, ces improvisations où l'artiste se lâche vraiment.
On est restés un peu sur cette faim.
Patrick Van Denhove & photos Olivier Galéa
Au Club de Minuit
Ils nous sont présentés comme héritiers de EST et Radiohead. Ils ne peuvent les renier.
Leur musique a priori "facile" captive assez vite et ils savent nous emmener sur leur chemin. Les ambiances s'installent délicatement pour grossir en flux énergisants.
Cette bande de Manchester retravaille des voies ouvertes par leurs aînés
Ils reprennent les titres de leur premier album (Kamaloka)
Et bien sûr quels morceaux du prochain à paraître chez Blue-Note (excusez du peu).
Une belle première apparition à Vienne, ça sert à ça le Club de Minuit.
La galerie de photos de Jazz-Rhone-Alpes.com
Les concerts du mardi 7 juillet à Vienne
Nanan ! ; Jean Kapsa Solo ; Carl Lacroix Quintet ; Sax Machine ; Seb Necca Duo ; Grégory Aubert Organ Trio ; Laurent Coulondre ; Sting ; Gogo Penguin
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