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35^ème édition Jazz à Vienne :

Ce qu'il s'est passé le lundi 29 juin 2015

Le croquis et la chronique de François Robin

Dhafer Youssef. L'Appel à la prière.

Parce qu'il surplombe, du haut du minaret, la ville et le cœur des maisons, la tradition voudrait que le muezzin soit aveugle. Et pour qu'il ne soit pas distrait tandis qu'il appelle à la prière, il pose ses doigts ou ses mains sur ses oreilles.

Un geste qui n'est pas sans rappeler celui des chanteurs de paghiella, ce chant profane corse, exercice polyphonique de pure poésie réinventé à chaque fois par les trois chanteurs. U bassu représente la force ; c'est la voix la plus grave. A seconda est la voix principale ; elle représente la sagesse et entonne le chant. A terza, la voix la plus haute, représente la beauté ; c'est elle qui ornemente et enrichit l'harmonie. La main en coquillage sur le côté du visage permet de mieux s'entendre, de créer une caverne personnelle dans laquelle la voix est amplifiée, réverbérée, comme un creuset qui laverait de ses scories un métal précieux, permettant avec les autres le plus juste alliage.

Le vocaliste et oudiste Tunisien Dhafer Youssef est issu d'une longue lignée de muezzins. Quand il découvre à six ans l'écho de sa voix et les résonnances qu'elle produit, il passe de longues heures dans le hammam de son village, fasciné par le monde fantastique que cet espace caverneux offre à sa voix. A l'entendre sur scène, passant de la voix de bassu au suraigu nasal le plus surnaturel, on ne peut empêcher l'évocation du plus envoûtant des Orients. Pas celui d'un orientalisme fantasmé, de ces clichés caricaturaux qui enflammèrent à la fin du XXème siècle un Occident avide d'excitante nouveauté, d'odalisques alanguies et de bains sulfureux. Non, l'Orient de Dhafer est un désert de silence et de vent, l'espace des montagnes corses où se répondent les bergers, l'âme d'une Méditerranée mystique et profane à la fois, où le chant parle au cœur des Hommes.

Parfois, la tempête déferle aussi dans ce désert, chevauchée par les tambours du percussionniste polychrome Ferenc Nemeth avec lequel transpire un vrai compagnonnage. La voix, alors, laisse la place à l'oud qui résonne en sympathie, vibrant cordes et bois d'une même force, caverne portative pour un chant sans âge, musique vivante d'un monde pluriculturel. Dhafer s'est entouré d'amis rencontrés lors de ses voyages : les scandinaves Kristjan Randalu au piano et Phil Donkin à la basse, Eivind Aarset surtout, qui se fait son alter ego à la guitare électrique, rejoignant par des chemins électroniques ciselés les grandes envolées du cordiste, une osmose qui évoque infailliblement la collaboration de Lyle Mays et Pat Metheny. Dans un monde épique transpercé de fulgurances rock, les a cappella de Dhafer Youssef surgissent alors comme un silence profond, une quiétude nocturne peuplée d'images et de poésie. Un pont entre les Hommes, une passerelle vers un Orient dégrimé, un voyage gémellaire et fraternel.

François Robin, texte & illustrations

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Du coin de l'œil de Daniel Peyreplane

Une lueur de nuit,
Couvre l'arène romaine,
coiffant de son halo blanchâtre,
Les têtes emplies de notes bleutées...

Sur la scène de Cybèle

Le concert de la mi-journée était celui du Big Band du Conservatoire de Vienne

Sous la direction de Philippe Khoury est composé de jeunes (et de moins jeunes) en troisième cycle de jazz, des amateurs, des semi-pros et quelques pros (profs ou amis) pour renforcer les pupitres ou la rythmique.

On commence en surfant sur l'actualité de l'année avec un thème de Buddy Rich histoire de se remémorer le film "Whiplash", place ensuite à plusieurs titres du répertoire de Count Basie arrangés par le célèbre Sammy Nestico ou par Quincy Jones (Corner Pocket). La toute jeune Élodie fait encore des merveilles au piano.

Changement de genre avec Moose the mooch (l'arrangement de Lennie Niehaus du film "Bird") de Charlie Parker.
Sweet Georgia Brown nous approche de la fin du set qui fait ensuite intervenir un chanteur sur un TV Blues : Jean sebastien Barrel qui a déjà son fan club, ce qui est mérité.

Final sur un Sway qui nous met en joie.

Le premier concert de l'après-midi présente le Ivan Baldet Quintet pour "Zoot Sims & Al Cohn Remembered"

Ivan Baldet, souffrant (nous lui présentons nos vœux de prompt rétablissement) était pour ce concert remplacé par un jeune saxophoniste d'Annecy, Yohan Jacquier qui sévit plutôt en Suisse et que nous ne connaissions donc pas encore... ce qui on s'en apercevra très vite était fort regrettable. A ses côtés on retrouve l'équipe habituelle à savoir Olivier Truchot au piano, Malcolm Potter à la contrebasse, Andréa Michelutti à la batterie et bien sûr Michael Cheret au second sax ténor.

L'argument est simple il s'agit de rendre hommage aux "four brothers" de Woody Herman : Stan Getz, Herbie Steward et plus particulièrement à Zoot Sims et Al Cohn en reprenant leurs titres les plus célèbres du disque "Four Brothers". Un souci de perfection anime le quintet dans la restitution du son de l'époque. La ressemblance est frappante et Yohann Jacquier se coule parfaitement dans le moule.

Place ensuite à un ensemble "jumbo" : le Warwick University Big Band

Pas moins de vingt-cinq jeunes musiciens et leur chef (sans compter les accompagnateurs), quand ce Big Band se déplace, ça déménage. Côté musique ça bouge pas mal aussi avec une intro de Beyoncé (plutôt rare sur nos scènes, mais peut-être l'année prochaine au Théâtre Antique en "extra-night") : Crazy for love, suivront des grands thème classiques comme American Patrol de Glen Miller ou Moanin' des Jazz Messengers, mais également du Earth Wind and Fire avec Fantasy.

Un programme éclectique qui plaît bien au public qui a lourdement insisté pour un bis hélas impossible ici vu les contraintes horaires très serrées.

La bonne surprise du jour arrive avec le Colin Vallon Trio

Benjamin Tanguy (programmateur de Cybèle et du Club de Minuit) m'avait prévenu, il ne fallait pas manquer ça. Docile je suis son conseil. Une fois de plus bien m'en a pris. Je n'étais d'ailleurs pas seul car Karine Zuber, directrice du Cully Jazz Festival et programmatrice du Cosmojazz s'était installée au premier rang pour ne pas en perdre une miette.

Colin Vallon prépare son piano avec minutie et le trio s'installe. Dès les premières notes on se fait embarquer dans un univers très particulier. Colin Vallon nous emmène dans son Smile. Il pose l'ambiance, on se détend et on se laisse prendre par son génie du crescendo. Sans qu'on s'en rende compte il fait monter la puissance et on embraye avec lui et ses musiciens. Il reprend ensuite une composition de son contrebassiste Patrice Moret avant de poursuivre avec des titres de son dernier CD "Le Vent"

Une grande homogénéité et un placement à toute épreuve font de ce trio un système polyphonique à une voix.

On retrouve des références évidentes à Radiohead, mais Colin se réclame aussi de Brad (Mehldau), d'Ornette Coleman et de tous les folklores du monde, il s'est approprié tout ça et nous les livre à sa manière.

Enfin un trio piano/basse/batterie qui sort des sentiers battus. A suivre de très près. Pour ma part le CD "le Vent" a tourné en boucle dès la fin du concert.

Pascal Derathé & photos Jazz-Rhone-Alpes.com

Intermed entame la soirée à Cybèle

Ce groupe d'amateurs éclairés et passionnés de jazz passe régulièrement à Cybèle et l'on constate d'années en années une aisance accrue et une maîtrise chirurgicale de leurs instruments. Le set proposé ce soir est très plaisant. des reprises menées avec entrain et un bon placement. Du jazz qui plaît aux amateurs de jazz "classique" comme j'ai pu l'entendre autour de moi.

Célia Kaméni et David Castell en seconde partie de soirée à Cybèle

Ces deux là se sont rencontrés lors d'une jam du lundi au Sirius où David Castell officie en maître de cérémonies et l'idée d'un show avec Célia Kaméni est venue tout naturellement.

Les voilà donc sur la scène du kiosque, lui avec une guitare acoustique et quelques pédales dont un sampler, elle avec sa voix et sa grâce.

Un bon moment de délicatesse.

Au théâtre Antique

La première partie est l'affaire de Dhafer Youssef qui vient nous présenter son dernier opus "Birds requiem"

Apparu sur la scène musicale à la fin des années 90, le oudiste et chanteur Dhafer Youssef a, au fil de sept albums parus sous son nom, multiplié les collaborations avec un grand nombre de musiciens venus d'horizons très différents : Paolo Fresu, Nguyen Lê, Omar Sosa , Wolfgang Muthspiel, Mino Cinelu , Tigran Hamasyan , Mark Giuliana et plus récemment les nordiques Nils Peter Molvaer et Eivind Aarset . Le 30 avril dernier à la journée internationale du jazz à Paris ses vocalises ont véritablement cloué sur place d'autres grandes voix du jazz présentes au concert parmi lesquelles Dee Dee Bridgewater, Dianne Reeves et Al Jarreau avec lesquels il a partagé une torride version du Imagine de John Lennon.

Il présentait à Vienne son dernier projet paru en 2013 chez OKeh /Sony Music "Birds Requiem" certainement son projet le plus personnel, fruit de nouvelles rencontres musicales et d'une formation entièrement renouvelée, portant aussi l'empreinte de la disparition de sa mère et d'un pas de plus vers la maturité avec toujours comme trame de fond une incessante quête mystique. A ses côtés sont présent le pianiste Kristjan Randalu, le bassiste Phil Donkin et le batteur Ferenc Nemeth . A la toute dernière minute compte tenu de sa participation à une résidence musicale au Palais Idéal du Facteur Cheval, tout proche, le guitariste Eivind Aarset a pu rejoindre (comme sur l'album) le quartet pour apporter la touche nordique et scandinave qui va si bien avec la musique enracinée au sud et en orient de Dhafer Youssef.

Dès l'introduction du concert avec la première intervention vocale de Dhafer Youssef, le public ovationne la performance. On comprend qu'on va entendre des instants de grande beauté au fil des quatre mouvements de la suite "Birds Requiem" qui n'est nullement funèbre. Comme une musique de film, la suite évoque des images d'élévation , des espace de liberté, de célébration et de spiritualité en ayant recours comme constante à des thématiques aviaires, de Birds Canticum et Whirling birds ceremony en passant par Fuga hirondinum et Archaic feathers.

La mélancolie du oud de Dhafer Youssef se mélange parfaitement avec les effets planants de guitare d'Eivind Aarset et des chorus bien emportés de piano du surprenant Kristjan Randalu. Tout au long du concert, les instants de sérénité et de méditation sont vite suivis de passages plus énergiques porteurs de mouvements et d'action. Sur Sweet Blasphemy, Dhafer Yousef chante en arabe les vers du poète persan Abu Nawas qui évoque l'amour et l'ivresse du vin, qui n'empêchent pas l'élévation mystique : belle leçon d'ouverture et de tolérance face au terrorisme sectaire tout en montrant aussi que le jazz en s'ouvrant à toutes les musiques du monde a encore beaucoup à nous apporter.

Dirigé de main de maitre par un musicien particulièrement inspiré ce soir, le concert était dense et riche de grands moments de beauté pure et d'envolées magiques qui vont rester comme un temps fort du festival.

Gérard Brunel & photos David Strickler

Et enfin la création du nouveau spectacle de Natacha Atlas associée à Ibrahim Maalouf

C'est un fabuleux mais difficile projet de tenter de rapprocher deux cultures. C'est pourtant ce à quoi veulent participer par la musique, comme d'autres musiciens déjà sur la brèche depuis longtemps, Natacha Atlas et Ibrahim Maalouf.

Le projet n'avait pas encore été présenté au public et les musiciens de jazz présents sur l'album étaient absents, c'est donc le groupe de Natacha Atlas augmenté d'Ibrahim Maalouf qui était chargé de le défendre. C'est à un work in progress que nous avons assisté ce soir, les musiciens avaient travaillé de leur côté sous la conduite de Samy Bishai directeur musical et arrangeur du groupe, mais il fallait compter avec la forte personnalité du trompettiste. Pour corser la situation, Robinson Khoury était invité pour deux titres, ce qui a donné lieu de la part des deux cuivres à quelques belles empoignades et à des chorus qui ont enflammé l'auditoire.

Natacha Atlas pour sa part s'est glissé discrètement dans ce nouveau répertoire plutôt jazzy que jazz, loin de ses premières expériences électro et de cette pop orientale où elle ne se sentait plus très à l'aise, pour s'efforcer de se rapprocher de ses envies profondes. Il semble qu'elle ait trouvé-là quelque chose qui lui corresponde, un style en devenir, qu'elle devra investir et façonner à sa mesure.

Le public qui a fait un triomphe aux artistes a, semble-t-il, compris la démarche et surtout apprécié le résultat musical en manifestant beaucoup d'enthousiasme.

Michel Mathais et photos David Strickler