35ème édition Jazz à Vienne :
Ce qu'il s'est passé le dimanche 28 juin 2015
Le croquis et la chronique de François Robin
Davell Crawford. Phénix et veste à fleurs.
Où ai-je déjà vu ce motif ?
Fleurissant le dos de Davell Crawford, "le Prince du Piano de la Nouvelle Orléans", une superbe veste psychédélique rose s'étale comme un tableau, ravivant d'un coup mon intérêt pour une scène qui se présentait alors délicate à transcrire. Pour tout dire, lorsque la star du soir est au piano, le clavier occupe le milieu de la scène. Le centre du crash-barrière étant trusté par les photographes, je n'ai bien souvent que le dos du pianiste à proposer. Difficile de savoir à l'avance ce qui va pouvoir en sortir. Mais il y avait cette veste.
Cette veste et ses énormes larmes enluminées qui me ramenaient à l'enfance, madeleine gouttant dans mon bol de chocolat chaud de petit garçon. Je revois d'un coup ce pyjama à imprimé Cachemire en doux coton, un motif qui venait de faire les grandes heures du Summer of Love après avoir été l'apanage de la High Society britannique. Il avait pris outre-manche le nom de Paisley, emprunté à la ville de la manufacture écossaise qui se fit la spécialiste de cette nouveauté débarquée dans les bagages de la Compagnie des Indes. Mais ses racines sont persanes. Des racines profondes, puisqu'on retrouve le motif du boteh -qui signifie tout autant l'arbuste que le bouquet de fleurs en persan -sous l'empire des Sassanides au IIIème siècle. Largement diffusé dans le sous-continent indien, il prendra vraiment son essor au Cachemire, sous le règne de l'empereur Moghol Akber au XVème siècle, stylisant les tiges et fleurs d'origine pour évoluer vers ce motif en goutte que nous connaissons aujourd'hui. Pas étonnant que le mouvement hippie, gourmand de nouvelles et exotiques inspirations, s'en empare dans les années 70 avec tout l'attirail des sitars, yoga et autres herbes douces.
Il était par contre plus surprenant de retrouver ce Paisley sur les épaules du pianiste et chanteur louisianais qui avait été invité pour cette dernière soirée new-orléanaise. Nous nous faisons des idées.
Dès le début du concert, le ton est clair : une rythmique assurée, un doigt de cajun, un piano percussif, Crawford est bien là pour un hommage à Fats Domino, l'un des pionniers du rock & roll, grande figure d'une Nouvelle Orléans qui l'a vu naitre.
On oublie bien souvent que le berceau fertile de la Crescent City* n'a pas enfanté que du jazz. Après la soirée très Satchmo** de la veille avec Lillian Boutté, le truculent pianiste nous rappelle que la musique est toujours en marche. S'il est présenté comme le gardien de l'héritage de la musique de NO, il ne se contente pas de la reproduire à l'identique mais s'appuie sur le profond système racinaire pour développer un style vivant et terriblement flamboyant. Blues, funk, gospel, c'est toute la saveur de cette ville melting-pot qui défile dans un répertoire magnifiquement servi : une voix charnue et enjôleuse matinée d'une présence franchement cabotine, superbement épaulée par un orchestre du tonnerre. Ça gigote dans le public : certains retrouvent sous le groove tonitruant les bons vieux rocks de leur jeunesse. Du neuf avec du vieux, l'éternelle renaissance de la Nouvelle Orléans.
Dans son aveuglement, l'ouragan Katrina avait détruit les maisons et les pianos de deux légendes : Fats Domino et Allen Toussaint qui fera la seconde partie de la soirée. Mais l'âme de cette ville refleurit sans cesse, comme les motifs Paisley du costume de son ambassadeur. Un bouquet qui se nourrit de sa propre sève, un phénix qui puise loin ses racines pour fleurir sans cesse la planète jazz.
François Robin
*Crescent City : la Ville du Croissant, surnom donné par sa forme à la Nouvelle Orléans.
**Satchmo : surnom de Louis Armstrong.
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Du coin de l'œil de Daniel Peyreplane
Jazz à Vienne, Session Irlandaise...
Sur la scène de Cybèle
La tradition du Big Band est respectée avec le "JazzSchool Studio Band"
Le "Jazz School Studio Band" nous vient de Berkeley en Californie. La tradition des big band d'écoles américaines à Vienne est ainsi respectée. Il s'agit d'une classe de "college" dont les élèves ont entre quinze et dix-sept ans, et il faut ouvrir les yeux pour le croire.
La formation reprend des morceaux de compositeurs américains : Voyage (Kenny Baron), Monterey (George Wilson), Goodbye Mr Evens (Tom Woods) ainsi que Against the curent une compo du jeune pianiste qui goûte son plaisir d'être joué à Vienne.
Le big band joue dans la tradition des grands orchestres US, ça envoie, ça tourne et ça vous embarque. Plusieurs solistes proposent leur chorus sans état d'âme.
Un final rutilant sur Un poco loco de Bud Powell très bien revisité avec des arrangements bien léchés.
De la bonne graine de jazzmen et jazz women.
Fin de la compétition du tremplin ReZZo-Focal avec les trois derniers groupes, en commençant par "Dreisam"
Jusqu'à présent nous avions assisté aux répétitions du trio "made in France" avec un tiers d'Allemande, un tiers de Brésilien et un tiers de Nîmois. Le trio Dreisam est venu très tôt à Cybèle pour pouvoir prendre le pouls de la scène et de la sono et peaufiner les réglages. A 16h00 malgré la température caniculaire mais presque, le parterre est comble et bien "chaud bouillant". Pour l'occasion le trio a soigné ses présentations et chacun prend le micro à son tour.
Les quarante-cinq minutes du set défilent très vite et Zaza se fendra d'une série de remerciements d'une éloquence rare. Visiblement il a bien conscience de jouer "à domicile". Un des meilleurs concerts de Dreisam. L' "audition" bien peaufinée.
Souhaitons que le Jury l'entende de cette oreille.
Place ensuite au "Benjamin Coum Trio"
La couleur est annoncée d'emblée : Benjamin Coum est friand de la scène jazz new-yorkaise et y puise son inspiration. Le trio breton nous a proposé une série de compositions basées sur des constructions énergiques et intéressantes, mais très répétitives qui ne servaient pas forcément le talent du pianiste et leader.
Pour finir avec le "Marjolaine Paitel Quintet"
Drôle de prestation dans le cadre d'un tremplin de jazz.
La seule prestation vocale de cette édition, soit ! Mais le lien entre chansons à texte et jazz n'est pas forcément naturel, et là il y avait un trop grand fossé entre l'accompagnement et le chant, ce qui fait que nous n'avons pas collé au propos.
C'en est fini de cette édition du tremplin ReZZo-Focal de Jazz à Vienne, il reste maintenant au Jury présidé par Rhoda Scott à se retirer et à délibérer. Nous allons guetter les fumées blanches et vous faire part de ses délibérations ici-même dès qu'elles seront officielles.
De gauche à droite :
Gérard Chrétien : Ambassadeur FOCAL
Benjamin Tanguy : programmateur Jazz à Vienne
Pascal Anquetil : journaliste, membre de l'Académie du Jazz
Rhoda Scott (présidente du jury) : musicienne
Pierre-Henri Ardonceau : journaliste de Jazz Magazine Jazzman, membre de l'Académie du Jazz
Pascal Bussy : directeur artistique chargé du jazz et des musiques du monde / Harmonia Mundi
Jean-Claude Rochat : administrateur et directeur artistique de Chorus, cofondateur de la fondation de l'EJMA
Les improvisations picturales
Chaque jour, à côté de la scène de Cybèle, deux artistes peintre se livrent à un exercice de style: ils disposent d'une toile de 80cm par 80cm. A eux de traduire avec leurs pinceaux ce qu'ils ressentent. Au total dix-huit peintres se livreront à cet exercice durant le festival.
La cuvée du jour Sandrine Cerdan et Jean-Marie Leleu qui ont improvisé sur Dreisam et le Benjamin Coum Trio.
Au théâtre Antique
Fin du cycle "New Orleans" avec pour commencer Davell Crawford et son "To Fats with Love"
Pour conclure notre week-end Nouvelle Orléans 2015, l'ouverture de Toussaint a donc été confiée à Davell Crawford qui avait précédé Roberta Flack en 2008. Stéphane Kochoyan nous présente "ce Petit Prince de La Nouvelle Orléans" qui va rendre hommage à Fats Domino.
La batterie entame le concert, Davell entre en scène, s'installe au piano... Le Bösendorfer semble tout étonné de sonner bastringue ! La basse et le banjo les rejoignent pour Jock-a-mo, dynamique composition du grand-père de Davell. Sollicité dès le second morceau, le public ne se fait pas prier pour répondre au chanteur, la guitare ayant fait place au banjo. Puis piano-voix, contrebasse et banjo enflamment une foule dominicale conquise avant l'arrivée des cuivres au quatrième titre. A tour de rôle, nous découvrons la trompette, un sax, une clarinette et un second sax qui viennent muscler un son déjà ample et dynamique. Ce sont douze titres qui se succèdent, parmi lesquels Shake, rattle & roll, Ain't that a shame ou Blueberry Hill.
Nous avons eu droit à un concert aussi chatoyant que la tenue de Mr Crawford : coupe de cheveux structurée, lunettes de soleil dorées, chemise et veste chamarrées, pantalon lamé et bottes en serpent (qui seront ôtées pour le rappel) ! Ah... les bagues dont une xxl ! Posées elles aussi pour le solo piano-voix qui entame le final évoquant le dixième anniversaire du passage dévastateur de Katrina. Sans transition, ses musiciens le rejoignent pour un medley musclé de Down by the riverside et Oh when the saints et l'abandonnent avant un ultime solo pianistique joué à 200 bpm !
Le métissage façon gumbo si représentaif de La Nouvelle Orléans a été sous nos yeux avec ce combo composé de vétérans et de jeunes loups, de noirs et de blancs et dans nos oreilles avec des morceaux épicés de soul, gospel, funk, jazzy, rock'n roll, rhytm'n blues enchaînés sans temps mort mais au contraire pleins de vie ! Chaudes ambiances !
Christian Ferreboeuf & photos Jazz-Rhone-Alpes.com
C'est avec une légende que Jazz à Vienne termine ce soir sur la scène du théâtre antique ce week-end consacré à la musique de Crescent City ! Monsieur Allen Toussaint est depuis peu une légende du Jazz mais c'est aussi une légende de la musique américaine en général, du Rythm'n' Blues en particulier et surtout une légende de la Nouvelle Orléans. Car si la Nouvelle Orléans est le lieu de naissance du Jazz, la ville que l'on assimile au style New Orleans et où tout a démarré, ce serait réducteur de ne pas prendre en compte tous les autres styles qui se côtoient et se mélange dans la ville du croissant.
Allen Toussaint s'est d'ailleurs "mis au jazz" récemment avec son album "The Bright Mississipi". Il se produit régulièrement sur scène et il ne réalise des albums sous son nom que depuis quelques années. En effet, cette légende de la musique a commencé par travailler dans l'ombre et surtout pour le succès des autres et c'est ce qui a fait sa réputation. Jugez plutôt Allen Toussaint a contribué au succès de Lee Dorsey, des Neville Brothers, The Meters...entre autres et Elvis Costello l'a réclamé pour une contribution à l'un de ses albums. En tant que pianiste il incarne une filiation néo-orléanaise : il a joué et été inspiré par le grand Fats Domino, il a été influencé par Professor Longhair et a influencé à son tour Dr John !
Ce soir c'est avec une attaque très Rock, Funk et Soul que le groupe d'Allen Toussaint entre en scène. Dans un look bariolé, avec sa voix soul et assurée, le jeune homme de soixante-dix-sept ans démarre dans la joie avec Happiness. Nous sommes surpris par l'ambiance musicale que nous propose Allen Toussaint, on ne s'attend pas à l'entendre dans un style aussi Rock et Soul. Le concert sera peu traditionnel malgré l'héritage du leader. Après tant d'années, le vieux sorcier vaudou brouille encore les cartes en jouant et en allant chercher le feeling là où on ne l'attend pas ! Mais c'est avec cette maîtrise que le louisianais peut se permettre d'improviser hors des sentiers battus.
Le trio rythmique qui l'accompagne avec Renard Poche à la guitare, Roland Guerin à la basse et Herman LeBeaux à la batterie est manifestement sur un registre rock avec un tempo rapide et énergique. La guitare et la basse claquent sur des sonorités très électriques tandis que la batterie apporte un soutien indéfectible et solide avec des rythmes jazz et un jeu aérien sur les cymbales. Même si les sonorités rock et soul sont imposantes, les structures de blues sont bien présentes. Sur Beal Street On Broadway, le blues est joué dans son entière et authentique expression. Le guitariste souligne les phrases de blues à la guitare électrique avec beaucoup d'intensité. Le chanteur cite BB KING à la fin du morceau, en hommage au bluesman disparu récemment.
Allen Toussaint rend aussi hommage à l'un de ses maîtres au piano avec Tipitina de Professor Longhair. Il mélangera tout au long de son set plusieurs standards et titres dans le même morceau. On reconnaitra, River Boat, Saint James Infirmary, New Orleans Thing, Old School,...Ses medleys sont riches de l'héritage néo-orléanais.
Le jeu d'Allen Toussaint au piano est varié. Il passe d'un jeu chaloupé à un jeu plus en percussion sur les touches. On discerne des passages de biguine et de mazurka qui reflètent les influences du sud et des caraïbes, ainsi que les syncopes du ragtime.
Le maître va enchaîner les titres qu'il a composés pour faire le succès des autres par le passé. Comme Yes We Can Can écrit en 1970 pour les Pointer Sisters ou Git Out My Life, Woman écrit en 1966 pour Lee Dorsey ou encore From a Whisper issu de son deuxième album en 1971.
Il présente les musiciens qui exécutent un solo chacun sur I Have Got Some Funk et termine sur Southern Nights, une ballade, avec sa voix chaude et sexy. Il fera un rappel où il évoquera Nite Tripper et Misteries, décidément l'esprit du Bayou aura plané sur la scène du Théâtre Antique ce soir.
Cette dernière soirée consacrée à la Nouvelle Orléans nous confirme que sur le lieu de naissance du Jazz et du style New-Orleans, il n'y a pas de frontière entre les genres musicaux et qu'ils cohabitent tous à Big Easy !
Jean-François Viaud & photos Jazz-Rhone-Alpes.com
La galerie de photos de Jazz-Rhone-Alpes.com
Les concerts du dimanche 28 juin 2015 à Vienne
Jazz School Studio Band ; Dreisam ; Benjamin Coum Trio ; Marjolaine Paitel Quintet ; Djoukil ; Davell Crawford ; Allen Toussaint
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