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ce qu'il s'est passé le mardi 1er juillet à Vienne

Le croquis et la prose de François Robin

Ibrahim Maalouf, le prophète

On parle souvent de l'influence de la musique sur l'enfant à naître. La voix de la mère, le chant du violoncelle, c'est - à travers la peau du tambour - l'éveil de l'enfant au monde extérieur, une entrée en douceur dans la lumière à venir, la Terre Promise.

Que peut-il bien ressentir, Ibrahim, en ce 5 décembre 1980, quand ce sont les bombes qui accompagnent le travail de sa mère, le gémissement des murs de l'hôpital tandis que s'ouvrent les entrailles de la terre du Liban sous les coups de boutoir de la folie des hommes? Que deviendra l'enfant qui naît dans la plus profonde terreur ?

Le hard-rock a ceci de stupéfiant qu'il nous a laissé quelques-uns des plus beaux slows : Scorpions, Metallica, Rammstein, Iron Maiden, autant de gros durs dont la sensibilité n'a d'égale que la fureur. Certainement, trop de coups ont bleui leur épiderme, le sang qui bat dans leurs veines a fini par rejoindre les arabesques de leurs tatouages. Il faut crier pour repousser les ténèbres. Dans chaque musique de révolte, il y a un appel à la paix.

Son dernier album « Illusions », le trompettiste franco-libanais Ibrahim Maalouf l'a voulu pour la scène. Une section rythmique très rock, électrique. Un souffle puissant, épique, festif, qu'il renforce en faisant appel à une brillante section de trompettes, des compagnons de bataille qui répondent à leur capitaine en faisant sonner les boucliers, une garde rapprochée pour avancer sans peur face au combat. Parce qu'il s'agit bien de juguler la peur, cette mauvaise sœur que l'on ne choisit pas, ainsi qu'en parle l'oncle du musicien, l'écrivain Amin Maalouf :

« Le sentiment de peur ou d'insécurité n'obéit pas toujours à des considérations rationnelles, il arrive qu'il soit exagéré et même paranoïaque ; mais à partir du moment où une population a peur, c'est la réalité de la peur qui doit être prise en considération plus que la réalité de la menace. » (Les identités meurtrières)

Face à cette réalité, le jeune musicien nous exhorte au combat, au feu et à la prière. Même si, pour celui qui a grandi dans un environnement agnostique, la spiritualité passe par la musique, on est frappé par l'esprit de ses compositions. Ibrahim semble passer de l'épopée prophétique au chant mystique le plus profond, un bouleversement de notre âme qu'il vient bercer du frôlement de sa trompette. Sur les ruines du champ de bataille, il est le psalmiste et le muezzin, celui qui accompagne les âmes délivrées de la peur et de la fureur. Cavalier d'Apocalypse, il fait face au monde décillé et nous invite à la victoire, gravant les sillons de nos mémoires d'un chant de joie profonde, d'une virginité retrouvée. Tandis que nous chantonnons à sa demande le thème de Beirut, il rassemble nos peurs avec ses peurs d'enfant, un long vibrato de cuivre hors du temps ; un souffle à peine, qui lentement se transforme pour exploser après un temps infini en une exultation guerrière, un somptueux et bruyant chant de victoire.

Sous les bravos de son armée d'un soir, il sourit avec simplicité et amitié. La musique comme arme pour transformer nos cœurs en profondeur, graver chant après chant une confiance sans faille

« La mémoire des mots se perd », dit Amin Maalouf, « pas celle des émotions. »

François Robin

voir le site de François Robin

Du coin de l'œil de Daniel Peyreplane

Face au mur

Sur la scène de Cybèle

Le big band de l'ENM sous la direction de Pierre Baldy-Moulinier

Stéphane Vettraino solo

Le pianiste viennois nous a régalé d'un solo d'une traite, grilles et improvisations mêlant romantisme et fougue, il nous a proposé un beau voyage au bout de ses doigts.

Stéphane Spira Quartet

Belle idée déjà proposée l'année dernière que de présenter au public de Cybèle la formation qui passera le soir au Club de Minuit... et cette formation a mis le feu à Cybèle. voir la chronique de Michel Mathais

Vibones

Nucleus Street Marching Band

Dans Vienne

Au théâtre Antique

Ibrahim Maalouf

Bonne chance à ceux que les classifications rassurent et qui tenteraient d'attribuer une catégorie à ce musicien qui s'ingénie à sauter les barrières comme si elles n'existaient pas. C'est en effet enfoncer une porte ouverte de dire à son sujet qu'il transcende les styles et les genres musicaux. L'image du trompettiste virtuose a longtemps brouillé l'image du compositeur tous azimuts qu'est Ibrahim Maalouf. Cela fait des années qu'il proclame dans les interviews que là est sa nature profonde, mais ça commence à se savoir et l'on en voit les résultats. Ses trois premiers albums qu'il désigne volontiers comme une espèce de psychothérapie forment un tout, chacun des trois est différents du et des précédents mais dans une certaine continuité. Le quatrième "Wind" très différent des précédents est un hommage au jazz et un premier pas du monde du cinéma vers le compositeur, rappelons en effet que "Wind" est une musique de film. Depuis, d'autres propositions pour le cinéma ont suivi, dont celle de Jalil Lespert pour le très remarqué Yves Saint Laurent. Pour mémoire il a également à son actif quelques œuvres concertantes, Point 33, pour chœur, orchestre et trompette arabe et plus récent un hommage à Hildegard von Bingen pour chœur, orchestre et trompette arabe également. Mais rien n'arrête ce boulimique de travail, puisque, à ses productions récentes s'ajoute son dernier album "Illusion", projet qui faisait également l'objet de ce concert à Vienne et de la tournée en cours.

"Illusion" est à la fois une réflexion dynamique et pleine de vie sur le hiatus entre réalité et apparence et une recherche sur les musiques de tradition. Pour ce faire Ibrahim Maalouf a étoffé son groupe de deux trompettes supplémentaires qui forment un chœur à trois voix avec lequel il dialogue, un peu comme le faisait Oum Kalsoum ou les rhapsodes anciens des Balkans.

Le résultat est somptueux du début à la fin, d'Illusion à Busy jusqu'à Unfaithful et True Story, par la clarté du propos, la beauté des sonorités et l'expressivité de la musique. Comme toujours avec Ibrahim Maalouf, il crée au sein du groupe une ambiance positive qui renforce la cohésion du groupe de musiciens soudés autour de leur leader totalement concernés par sa musique et au service de celle-ci. La communication avec le public est toujours étonnante. Ibrahim Maalouf fait un geste discret du doigt, siffle un air, il est repris de manière instantanée par le public.

C'est le troisième passage d'Ibrahim Maalouf sur la scène de Vienne, chaque fois avec un projet différent et chaque fois on est étonné, surpris et enthousiasmé par tant de créativité et par la qualité de la démarche, mais également par le travail du groupe et l'énergie qui s'en dégage.

Michel Mathais

Robert Plant and the Sensational Space Shifters

Une légende est sur la scène du théâtre antique de Vienne ce soir, et le qualificatif n'est pas galvaudé pour Robert Plant, leader et chanteur du groupe de rock légendaire des années 70: "Led Zeppelin".

Ce groupe a marqué de façon durable les bipèdes équipés d'une paire d'oreilles, au delà des seuls amateurs de Hard Rock de l'époque. Ibrahim Malouf, sur la même scène quelques minutes avant, cite régulièrement Led Zeppelin comme une de ses influences alors que sa musique reste très éloignée du rock flamboyant que proposaient Robert Plant et ses compères.

Qu'est ce qui fait que ce groupe nous a tant marqué ? qu'il continue à faire fantasmer ? et influence encore les créations d'aujourd'hui ? : Sa créativité, la qualité mélodique de ses compositions, son caractère éphémère : dix ans seulement, la magie créée par la réunion de quatre individualités de talent...

Robert Plant, malgré son statut de légende vivante, a depuis la séparation du groupe poursuivi une carrière en solo plus qu'honorable, parsemée de collaborations diversifiées et ambitieuses.

Et sur la scène de Vienne ce soir, à soixante-cinq ans il confirme que sa voix a gardé toute sa splendeur et qu'il n'a pas envie de ressasser, comme d'autres, ses tubes mythiques qui nous feraient, malgré tout, encore sauter au plafond. Telle une jeune pousse, il fait la promotion de son nouveau groupe "The Sensational Space Shifters", et de ses nouvelles chansons; et comme un bon voyageur de commerce, il invite à plusieurs reprises le public à acheter son nouvel album qui sortira en septembre.
Il a du jus à revendre Bob et il a gardé l'élégance sauvage de ses 20 ans.
Ce groupe propose un mélange assez étonnant entre les musiques traditionnelles et actuelles; le Blues très roots côtoie la musique folk, le rock, l'électro et les musiques traditionnelles africaines. Avec de tels écarts d'univers on se dit qu'on risque le claquage musical à chaque instant, et pourtant ça marche; un séquenceur associé à une Kora africaine, c'est inattendu mais c'est beau.
Robert Plant semble proposer ainsi, avec ses "Manettes Sensationnelles", une synthèse de toutes les musiques qu'il aime, toujours à la recherche de sensations nouvelles.
Au répertoire, des compositions qui seront sur le nouvel album, mais pour l'essentiel des morceaux qu'ils ont déjà enregistrés en live en 2012 à Chicago pour l'album "Taste of Chicago".
On y trouve des reprises comme "Babe, I'm Gonna Leave You" de Joan Baez,chanté par Plant. On croit redécouvrir  dazed and confused, de nouvelles compositions comme The Enchanter et,...  et ...,et  des morceaux d'anthologie du répertoire de Led Zep relookés pour l'occasion: Whole lotta love et Rock and Roll présentée comme une chanson traditionnelle irlandaise.

Nous n'étions pas "que" des nostalgiques béats en sortant avec la banane du Théâtre Antique, mais restons vigilants.

Jean-Marc Aguirre

Au club de Minuit (et aussi à Cybèle)

Stéphane Spira 4tet

Double dose de "Spira" en ce mardi 1er juillet à Jazz à Vienne. Un comprimé en fin d'après-midi à Cybèle, un dans la nuit au Club. Et belle idée de programmation de pouvoir apprécier un même artiste en deux lieux et horaires différents, accessible de facto à divers publics, une écoute également différenciée. Dans un cas comme dans l'autre, le jetlag transatlantique ne se fait pas sentir, pas de round d'observation, direct dans le vif du sujet.

Le saxophoniste Stéphane Spira poursuit sa tournée européenne par cette double représentation à Vienne avec son nouveau projet "In Between" qui retrace ses allers-retours de ces quatre-cinq dernières années entre Paris et New-York. Lui, le parisien d'origine, qui s'est mis au saxophone sur le tard, vit son rêve de vivre au cœur même de la soufflerie jazzistique. Il prend son temps pour élaborer ses projets et choisit patiemment ses collaborations. En l'occurrence, Glenn Ferris, le plus français des trombonistes américains, lui a dit "à votre service" lorsque Stéphane Spira lui proposa le projet après une première rencontre musicale en 2007 au Sunset, et surtout une invitation fructueuse en special guest lors du projet "Round about Jobim" en 2012.

Le premier morceau de Cybèle est justement écrit pour Glenn Ferris, Glenntleman. Une des marques de fabrique de ce quartet est la belle complémentarité, l'équilibre, l'homogénéité des deux paires, à savoir la connivence entre la rythmique d'une part, et les instruments à vent de l'autre. La rythmique est portée par Steve Wood, l'homme tranquille à la contrebasse, imperturbable et serein, et Andrew Atkinson, l'energizer, un son sec et clair qui cadre, gros technicien tout en finesse (en remplacement de Jonathan Blake présent sur l'album mais actuellement en tournée avec Tom Harrell).

Les improvisations s'enchaînent, avec Glenn Ferris et son trombone à double-noix avec élastique en caoutchouc incorporé, et Stéphane Spira, tantôt au ténor ou au soprano qui ne ménage pas sa peine, inspiré, engagé, visage pâle devient rouge... En fond de salle, sa belle, bouche fermée, sourire aux lèvres, expectative autant qu'émerveillée, dodeline, discrète, Jessica Goldring, qui fait pourtant partie intégrante du projet enregistré, en ayant offert un poème au titre éponyme de l'album "In Between", reprenant l'ensemble des morceaux proposés dont la plupart ont été composés par Stéphane Spira. Dans le public, contagion subite frénétique de pieds ballants au rythme de la pulsation.

In Transit enchaîne un dialogue entre le sax ténor et le trombone avec la sourdine, la transition s'effectue à l'archet de la contrebasse pour une basse continue autour du "Ré", une promenade autour des commas dépassés par d'habilles frottements harmoniques, improvisation méditative au saxophone soprano puis au trombone. La version du soir s'avérera plus nerveuse avec quelques insertions qui nous évoquent Okonkole' Y Trompa de Jaco Pastorius.

Enchaînement toujours avec un air plus entraînant, version molto calypso, Reflexion in D (oui, le ré est toujours "La" !) de Duke Ellington arrangé par Glenn Ferris.
Avec Cosmaner, l'énergie est particulièrement propulsée par Andrew Atkinson qui s'éclate littéralement dans son rôle de dynamiteur.
Ces quatre morceaux termineront le set du soir.

A Minuit, le théâtre de la ville de Vienne se transforme en Club de jazz new yorkais, il est d'ailleurs l'heure de N.Y. Time, une composition de Stéphane Spira assisté de son trio de musiciens américains que nous pouvons doublement apprécier. L'ambiance est forcément différente de l'après-midi, une musique vivante non stéréotypée en évolution constante selon les envies et les lieux ; le son également, à l'avantage particulièrement de la contrebasse. Suit Samba Em Preludio de Baden Powell & Vinicius de Moraes, dans une interprétation aux multiples combinaisons, tantôt au ténor ou au soprano pour le saxophoniste, des passages en trio échangés à l'intérieur du quartet : ballade avec le soprano et la rythmique rejoints par le contrechant du trombone avec sourdine, qui après l'avoir ôtée assure l'improvisation, puis un duo contrebasse-soprano, avant que le quatuor ne se reconstitue pour le final.

Flight est une pièce plus mouvementée dans laquelle, une fois encore, le batteur américain Andrew Atkinson qui envoie "sec" n'a pas fait le voyage des Etats-Unis pour rien. La ballade contemplative Dawn in Manhattan nous propose une déambulation dans la métropole new-yorkaise. Dans l'antre de Big Apple, Grounds 4 dismissal est une espièglerie signée Steve Wood où après une longue et complice introduction de la rythmique, la walking bass donne le signal pour les vents d'une thématique intermittente de séquences parsemées de silences.

Nicolas Pommaret