Ce qu'il s'est passé le samedi 28 juin
Le croquis et la prose de François Robin
Paolo Fresu : Mélodie et silence.
Sur la scène, le quintet s'installe. Accord. Un petit bruissement d'orchestre, unisson rituel qui semble nous ignorer. Et puis, d'un coup, sans que rien n'y paraisse, un son a traversé l'espace. Il vient de loin, porté par le vent qui se rassemble, préparant l'assaut prochain de la colline. Il a dû remonter le Rhône, débarqué par la Grande Bleue de plus loin encore. Un parfum de pierre et de chêne, de safran aussi. Un appel de berger qui sait la beauté du silence. Aspirant l'espace dans l'entonnoir de son bugle, Paolo Fresu fait corps avec cet appel outre-mer, le modèle comme on prend un enfant par la main, le faisant lentement tournoyer pour l'offrir à la première danse. Et l'écho s'envole vers les gradins de pierre, bondissant, envahissant tout l'espace que la proche venue de la pluie a rendu clair comme un torrent.
En enregistrant "30", l'album qui célèbre les trente ans du "quintet italien", Paolo Fresu et ses compagnons ont rassemblé un summum de ce qui fait la typicité de leur musique : la mélodie et le silence. Un absolu d'espace et de mélancolie. Pour autant, il ne s'agit pas de ces musiques larmoyantes qui vous empèguent, dégoulinantes de sensiblerie. Les compositions des cinq musiciens - "nous sommes très démocratiques" - usent avec une grande générosité des polyrythmies. Perspective from the train du pianiste Roberto Cipelli nous embarque dans un voyage délicieusement enlevé et le Go Go B. du contrebassiste Attilio Zanchi a des allures de funky-bop endiablé qui ne sont pas sans rappeler un certain Sidewinder, le bondissant serpent à sonnettes de Lee Morgan.
Mais c'est surtout dans les grandes ballades mélodiques que le talent de Fresu s'exprime le mieux. Relayé ou accompagné par le magnifique saxo de Tino Tracanna, le trompettiste défend une musique silencieuse qui ne s'accommode que du son le plus parfait, le plus fragile, le plus envoûtant. Certainement, il a dû passer des heures à écouter le chant de son instrument dans l'encoignure d'une chambre ou sur la côte rocheuse de sa Sardaigne natale. Intimité et espace, la quête infinie du chanteur, le travail d'orfèvre du sonneur pour qui chaque son est précieux, dans des paysages qui imposent de ne parler que pour dire vrai. Pour nous, il recrée cette splendeur du son, la lenteur maritime, la polyphonie de l'écho, le chuchotement dans la fraîcheur des églises ou la caresse de la brise vespérale. Boucles, mixages, boîtes à effet, tout est bon pour retrouver le paradis lointain. Renversé en arrière comme un sonneur ou courbé vers le sol, il distille les paysages sans fin, soutenu en un sotto voce magnifique par une section rythmique complice, avec entre autres la palette stupéfiante du batteur Ettore Fioravanti.
C'est une musique de fin d'été, une langueur automnale qui déjà teinte les forêts, le frisson de la pluie qui vient griffer mon papier, le mouchetis d'une note qui éclate par endroit comme portée par une bulle de savon. Dressés sur le devant de la scène pour communier avec le public sous la pluie d'été qui s'invite pour de vrai, Paolo Fresu et Tino Tracanna lancent les dernières notes à la nuit, l'ode au ciel et à la terre, aux Giallefoglie - les feuilles jaunes - qui couvrent d'or la pierre mouillée des gradins.
Dans un geste suspendu de danseur, Fresu rend la musique à l'espace. Comme le dit le proverbe sarde : "In ballos et in festas, si Connoschen sas testas". Dans les danses et les fêtes, on reconnaît les âmes.
François Robin
Du coin de l'œil de Daniel Peyreplane
C'est aussi ça Jazz à Vienne,
Jase au Boog
Sur la scène de Cybèle
La journée commence à Cybèle par un spectacle d'enfants bien délurés
Aladdin et la cafetière magique
Une troupe d'élève de cinquième et quatrième du Collège G. Brassens de Pont-Evêque revisite le conte oriental. Un mini-big band se charge de la musique sous la houlette du Trio Magochi (Damien Gomez au sax et à la direction de l'ensemble, Thomas Chignier à la batterie et Noé Macary au clavier). Du jazz, des jolies filles, de l'amour, du rire, du rap, du drame et du mélo, tous les ingrédients sont ici réunis pour nous faire passer un bon moment et le public se prend au jeu. Surtout quand ça part en impro en live et que ça tient bien la route (On se souviendra d'un "t'es complètement mytho" pas prévu au programme)
Bravo à ces jeunes qui nous ont bien distraits.
Place ensuite à la seconde journée du tremplin Focal / ReZZo
Caroline Schmid Trio
Caroline Schmid: piano ; Étienne Renard: contrebasse ; Lucas Dorier: batterie
Damien Boureau 4dB
Damien Boureau: guitare ; Maximilien Helle Forget: piano Zacharie Abraham: contrebasse ; Quentin Rondreux: batterie
Cédric Hanriot GroOovematic
Cédric Hanriot: piano ; Bertrand Beruard: contrebasse ; Jean Baptiste Pinet: batterie
La soirée se poursuit au kiosque:
L'Atelier du Lundi
L'inoxydable Tiboum pousse ses élèves et leur a trouvé une scène à Cybèle, deux chanteuses, trois batteurs (il faut ce qu'il faut) un contrebassiste et un pianiste et c'est parti pour une heure de jazz vocal en interaction avec le public.
La soirée s'arrêtera là à Cybèle, la pluie ayant arrêté les balances du duo de Anne-Sophie Ozanne et Antoine Bacherot.
Les improvisations picturales
L'association Solo-Sary a réduit la voilure cette année, ayant vu ses ressources et aides fondrent comme neige au soleil. Malgré tout ils ont décidé de poursuivre cette sympathique initiative qui offre un cachet supplémentaire à la scène de Cybèle.
Presque chaque jour, à côté de la scène de Cybèle, deux artistes peintres se livrent à un exercice de style: ils disposent d'une toile de 80 cm par 80 cm (économies oblige !). A eux de traduire avec leurs pinceaux ce qu'ils ressentent. Au total dix-huit peintres se livreront à cet exercice durant le festival.
La cuvée du jour: Fred Altezin et Sandrine Cerdan
Demain place à Cécile Windeck et Jean-Marie Leleu
Dans Vienne, on a frisé l'incident diplomatique
Après le défilé de la veille qui a mobilisé plusieurs centaines de musiciens, retour à "la normale" avec la Jazz Parade tenue ce soir par le Skokkian Brass Band vu il y a quelques semaines au Périscope.
La même équipe s'ébroue depuis l'Hôtel de Ville pour une transhumance dans la ville. Après quelques dizaines de mètres elle se retrouve confrontée à un gros morceau : le "March Mellow Street Band", cette bande de doux-dingues allemands qui sillonnent l'Europe avec une fanfare de rue d'une cinquantaine de musiciens au dress-code très strict : chapeau noir et gants blanc sur costume noir. Impressionnant !
Et "contre toute attente" l'amitié franco-allemande a fonctionné à plein. Eddy, le leader de la formation outre-rhénane est venu se mêler aux Skokkians. Un chouette moment de fraternité musicale pour le plus grand plaisir de spectateurs des terrasses qui bordaient le temple d'Auguste et Livie.
Ensuite les Skokkians ont pu poursuivre à travers Vienne le cours de leurs jubilations.
Au théâtre Antique
Paolo Fresu
Avec en tête d'affiche deux Paolo, c'est l'Italie qui, au théâtre antique, fait l'ouverture officielle de la programmation du festival de Jazz à Vienne.
Une première partie assurée par le "Paolo Fresu Quintet", originairement dénommé "Quintet Italiano" dont les membres comme nous le précise le leader du quintet sont issus des différents points cardinaux de l'Italie et ont amené avec eux les influences musicales de leur région natale. De Berchidda en Sardaigne où Paolo Fresu organise depuis vingt-sept ans un festival de jazz nommé Time in Jazz. De Livourne en Toscane, au sax ténor et soprano, Tino Tracanna, de Cremone en Lombardie, au piano et claviers, Roberto Cipelli. De Milan, à la contrebasse, Attilio Zanchi et de Rome, à la batterie, Ettore Fioravanti.
Un quintet qui se veut être l'un des plus vieux d'Europe dont le programme de ce soir issu d'un enregistrement réalisé en novembre 2013 fait référence à son âge: "30".
Un r&pertoire aux couleurs de la tenue vestimentaires de Paolo Fresu, des teintes pastelles pour les morceaux de douceur, et l'éclat d'un bouquet de fleurs pour les pièces enjouées. Chacun des musiciens a amené sa signature derrière les différentes compositions qui sont interprétées à la perfection, c'est le moins qu'on puisse attendre d'un quintet de trente ans.
Paolo Fresu qui est le seul, dans cette formation, à triturer les sons via l'électronique, pour fait jaillir de sa trompette des sonorités dignes de claviers voire de guitares électriques lors de l'exécution de ses solos. Il a l'art de se mettre dans des positions assez acrobatiques qui m'évoquent certaines peintures de personnages aux courbes souples et ondulantes signées Miles Davis.
Le répertoire a le charme d'une belle italienne, tout comme les anecdotes que distillera Paolo Fresu au cours de ce concert, particulièrement celle concernant Giallefoglie, (les feuilles jaunes) titre de l'une de ces compositions.
Bien que volubile il sera contraint d'enchaîner les morceaux, car c'est le seul regret que l'on pourra avoir, son temps est compté.
Un seul rappel sera autorisé avant de laisser la place sur scène au capitaine d'une équipe de onze musiciens : Paolo Conte.
"30" contient quelques plages de pur plaisir qui furent une belle introduction à cette 34ème édition de Jazz à Vienne, donnée par un quintet qui se produisait pour la première fois en ce lieu.
Philippe Morel
Paolo Conte
Avec sa tête de paysan piémontais, ses costumes de notaire de province et sa voix au grain prononcé, Paolo Conte poursuit, à soixante dix-sept ans, une carrière de chanteur commencée tardivement aux approches de la quarantaine. Faux nostalgique, s'il regarde en arrière, c'est affirme-t-il sans regret mais avec lucidité, question d'identité. Musicalement c'est la même chose, quand on lui demande quels disques il a écouté récemment, il répond Hot Five et Hot Seven. Mais sa musique, si l'on y trouve des éléments du jazz des origines, de tango voire de milonga, n'a rien de nostalgique non plus : c'est du Paolo Conte d'aujourd'hui. Il ne reproduit pas, il invente un nouveau langage avec un vocabulaire ancien, il reprend des matériaux du passé qu'il réutilise avec un sens nouveau. Il s'agit là d'images empruntées (Una Faccia in prestito)
Samedi soir c'était fête à Vienne, le public nombreux et chaleureux était venu fêter le retour du cantautore après quatre ans d'absence. Pas de nouveauté pour l'instant, les nouveaux titres seront sur l'album à sortir vers la rentrée. Une innovation pourtant, à son septet habituel, Paolo Conte ajoute, depuis 2011 au moins (Gong-Ho), un trio de guitares manouches qui apporte de nouvelles couleurs à ses chansons. Malgré la pluie ininterrompue du début à la fin du concert et quelques roulements de tonnerre, le public aura pu entendre, Sotte le telle del jazz, Come di, Alle presse con una verde milonga, Via con me et l'incontournable Diavolo rosso. Il aura pu apprécier également la mise en place de l'orchestre, toujours aussi précise, mais souple en même temps, suffisamment ouverte pour laisser la place à quelques chorus et nous permettre d'apprécier la versatilité des musiciens poly-instrumentistes.
Et puis la voix de Paolo Conte granuleuse à souhait, si touchante, toute chargée d'émotions à partager, sa chaude présence, son regard qui de temps en temps pétille: "Non piangere, coglione, ridi e vai."
On ne peut s'empêcher alors, de se rappeler ce qu'écrivait Pierre Desproges: " Paolo Conte chante. Esthétiquement, c'est beau. Moralement, comme toute insulte à la médiocrité, c'est une bonne action."
Au Club de Minuit
Michel Marre Quartet
Quel bonheur de retrouver le Club de Minuit de Jazz à Vienne, à savoir le "petit" théâtre à l'italienne de la Ville de Vienne transformé pour l'occasion de la quinzaine du festival en véritable Club de jazz (exit les fauteuils du parterre remplacés par chaises et guéridons), ambiance cosy et feutrée dans le confort musical et la proximité avec les artistes.
Et quel plaisir de retrouver en leader Michel Marre, personnage attachant, jamais rassasié d'humour, addict à l'oxygène, au grand air, jubilation communicative qu'il sait transmettre par sa musique et sa personnalité, esprit libre et esthète du phrasé au service des grands airs avec un bugle omniprésent lors de cette soirée, invitant Alain Jean-Marie au piano dont il vante son admiration et respect en maintes occasions, un maître de l'accompagnement, merveilleusement servis par le réactif Simon Goubert à la batterie (dont on sent bien qu'il appartient à cette famille de batteurs qui considèrent la batterie comme un instrument mélodique à part entière) et le toucher délicat et profond de Yves Torchinsky à la contrebasse. La complicité et la complémentarité de ces quatre personnalités musicales différentes n'ont d'égal que la sincère amitié et la confiance réciproque et mutuelle, où chacun des membres de ce quatuor peut exprimer librement ses sensibilités.
Le set commence véritablement par Autour de Minuit, morceau de circonstance, mais Michel Marre se refuse d'en jouer le thème. Il s'en était d'ailleurs expliqué en conférence de presse dans l'après-midi. A l'origine de son dernier projet autour de ballades pour un hommage à Clifford Brown ("I Remember Clifford" enregistré à Paris en août 2012, label Hâtive), il avait bien précisé à ses compères qu'il en avait (littéralement) marre de jouer "Round About Midnight" depuis plus de 25 ans, pourtant à peine rentré en studio, Alain Jean-Marie entame les harmonies du célèbre standard de Monk, et Michel Marre de tourner volontairement autour depuis...
Simon Goubert enchaîne sur You don't know what love is popularisé par Billie Holiday, il saura d'ailleurs en plusieurs occasions combler les interstices par de savants solos de batterie. Michel Marre est bien décidé à garder le bugle toute la soirée.Agilité et rondeur des mélodies nappées d'un son chaleureux et graveleux sont au programme de la soirée. Délaissée, la trompette restera posée comme un objet d'exposition sur la scène (celle-ci devait être du matin !). Seule la trompette de poche, inséparable compagne, trouvera grâce à la toute fin du concert.
Billie toujours, en ballades avec We'll together again.
Puis Espera, composition de Michel Marre, qui signifie en occitan "On vous attend...", dédiée à tous ceux qui sont partis trop tôt, une valse qui se conjugue en souvenirs pour laquelle Michel Marre expose le thème avant de s'effacer délicatement pour laisser ses trois acolytes se mettre en évidence alternativement.
For heaven's sake de Billie Holiday nous accompagne avant que, dans un élan de virtuosité technicienne léchée autant qu'allégée, Alain Jean-Marie n'aborde une habile transition insoupçonnée vers une composition de Michel Marre, Chess and Mal (en hommage à un compagnon de jeu et de route, le pianiste Mal Waldron, infatigable joueur d'échecs y compris lors de concerts), à consonance bop, n'abandonnant pas complètement le swing et reniant encore moins des envies de free.
La dernière reprise de cette programmation de grande valeur, Body and Soul, ravit un public de connaisseurs.
Nicolas Pommaret
Au JazzMix
Magic Malik et son projet "Tranz Denied"
La galerie de photos de Jazz-Rhone-Alpes.com
Les concerts du samedi 28 juin à Vienne
Aladdin et la cafetière magique ; Caroline Schmid Trio ; Damien Boureu 4DB ; Cédric Hanriot GroOovematic ; Atelier du lundi ; Paolo Fresu ; Paolo Conte
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