Nous avons écouté cette semaine
"Acqua" : le nouvel album d'Alfio Origlio Septet
On cherchera vainement dans le dernier disque d'Alfio Origlio un reflet des modes actuelles ou un traitement traditionnel et convenu du septet avec : exposé du thème par un soufflant, pour lequel la rythmique joue un rôle d'accompagnement, une succession de chorus avec des "backs" cuivrés, le tout cherchant à égaler, à sept, un big-band, comme la grenouille de la fable veut se faire aussi grosse que le bœuf...on cherchera vainement ici cette surenchère de technicité dans la fureur d'une corrida où la musique est l'animal sacrifié.
Il y a le goût de l'intégration orchestrale, d'arrangements qui visent la cohésion sonore (arrangements soignés de Pierre Bertrand qui fait l'unanimité en la matière : écoutez par exemple les contrepoints dans Ascendance), l'audace dans l'usage non conventionnel des soufflants, plus harmonique que rythmique, plus fondus dans la masse sonore que juxtaposés de façon ornementale, jouant en profondeur et ne cherchant pas à distraire, du jeu sérieux des enfants et non des divertissements pour adultes . Il y a aussi ce défi à relever qui consiste à honorer une demande chère à La Tour des Arts, ce label qui a voulu d'abord privilégier le talent d'improvisateur et de mélodiste d'Alfio, excluant la dispersion (il n'y aura qu'une seule exception : le chorus à la clarinette basse de Stéphane Chausse dans Complainte). Il s'agissait donc de créer le climat le plus propice à servir et sertir les improvisations du pianiste et cela est plutôt réussi. Que ce soit les complices de toujours à la rythmique : Andy Barron à la batterie ou Jérôme Regard à la contrebasse ; ou que soit la flûte de Pierre Bertrand, la clarinette basse de Stéphane Chausse, le saxophone ténor d'Eric Prost, le bugle et la trompette de Guillaume Poncelet, qui tous collaborent très régulièrement aux projets d'Alfio, tous les musiciens du septet ont œuvré avec leur talent, leur humilité et leur générosité pour que cette création ait lieu.
Voilà donc ce que l'oreille trouvera sur cette plage sonore. Plus souvent qu'on ne croit, le jazz travaille en profondeur. Au-delà des "battles", des concours, de l'esbroufe, des prix et autres tremplins, il reste les belles plages méditatives de Coltrane, de Bill Evans (Quiet now) ou de Wayne Shorter. C'est dans cette lignée que s'inscrit la recherche d'Alfio et son dernier disque, méditant entre le ciel et la terre, sur cet axe vertical qui définit l'homme et supporte la tension entre les signes d'air et les signes d'eau.
Le précédent disque était d'abord marqué du sceau des grands espaces aériens : "Wings and notes", c'était un hommage rendu au ciel ouvert, aux nuages de lumière et d'ombre, au planeur ami, au grand risque de chute, aux vents ascensionnels. Le grand élan coltranien (Giant Steps), sous un nouveau visage, est repris et métamorphosé ici. Ascendance (le seul thème repris et renouvelé avec Sacha), c'est le pont aérien entre des évocations célestes ré-enchantées (Birds) et des rêveries plus aquatiques. Acqua (thème éponyme de l'album) c'est une ligne de contrebasse et de clarinette basse qui coule à vive allure, des arpèges ruisselants, des obstacles rencontrés comme il arrive même aux grands fleuves, des combats de bateau ivre pour garder la direction, des accords en majesté pour saluer le terme du voyage. La pluie privilégie le swing, car c'est une eau dansante qui pétille et fait depuis belle lurette déjà, ses claquettes. Rivières calmes, c'est le flux calme et animé d'une mélodie qui coule du ciel dans des paysages nouveaux où le voyageur hésite entre le sentiment de merveilleux et celui de familiarité. " La plus belle des demeure serait pour moi au creux d'un vallon, au bord d'une eau vive, dans l'ombre courte des saules et des osières" (G. Bachelard).
Il ne s'agit nullement ici des eaux dormantes, lourdes et mortes d'Edgar Poe mais des eaux printanières, des eaux courantes, des eaux amoureuses célébrées par le philosophe de l'imagination et par le musicien à l'unisson. Pas vraiment de mélancolies dans ces eaux miroitantes, ces étincelles liquides qui sont d'autres oiseaux d'eau. Ecoutez Birds. La flûte vole si haut dans le ciel, sur des océans de sérénité tranquille, comme une image de Myazaki (Mon voisin Totoro) ou les nénuphars bleutés de Monnet...et le temps s'arrête. Le bonheur est délicat, comme sa suggestion et son partage. C'est dans le transport, flottant ou volant que se manifeste la continuité entre l'air et l'eau, l'unité des espaces rêvés et vécus.
Cependant, comme dans tout disque de jazz, l'auditeur trouvera des accompagnements soignés au piano (dans l'esprit des grandes leçons d'Hancock, avec ses tourneries solides et dansantes) quand c'est la clarinette de Stéphane ou le saxophone ténor d'Eric ou la flûte de Pierre et le bugle de Guillaume qui exposent le thème, un dialogue tout en finesse (en (Al-)fioritures ?) entre instrumentistes dans le partage de l'exposition des thèmes. Plus qu'en de nombreux disques nous trouvons ici une cohérence dans le parcours sonore proposé. Le choix dans l'ordre des thèmes exposés est remarquable d'équilibre avec son jeu en miroir. Onze thèmes qui distribuent les thèmes aériens et les thèmes d'eau autour d'un centre : H2O qui s'est appelé Alfioriture puisque l'humour demeure essentiel. Les thèmes de l'air et de l'eau alternent, puisque nous naviguons dans des Rivières calmes pour nous élever avec Birds. Insiemi qui était originellement une introduction ouvre plutôt, grâce aussi à la clarinette basse de Stéphane qui sonne comme un duduk, un espace de l'échange où vont dialoguer d'abord le pianiste et le clarinettiste, puis dans les autres thèmes, tous les musiciens du septet. Au centre Alfioriture (H2O) ouvre le bal, et quel bal ! Ni celui des pendus, ni le sabbat des damnés ou des sorcières, mais une magnifique composition qui donne le ton au disque: après Ascendances (encore un thème aérien), c'est Complainte, à peine une plainte, plutôt une marche résolue, au-delà de la douleur (la surprise fait mouche dans quelques accords tendus remarquables), vers la création. Cet espace offert, où le ciel et l'eau se rencontrent, c'est un espace ouvert pour les hommes qui peuvent ainsi se retrouver : deux thèmes portent le nom d'êtres chers : Jacomo, Sacha. Après Sacha, comme après un soleil, La Pluie. Et Insiemi Ancora clôt l'ouvrage.
"Acqua", d'Alfio Origlio Septet, c'est du jazz limpide, un grand bonheur qui coule et se partage. L'eau, comme l'air et la musique n'est-ce pas un de nos biens communs les plus précieux ?
Bernard Otternaud (octobre 2013)
Et pour finir , vous avez une chance de recevoir en cadeau le CD Acqua dédicacé.
lundi 7 octobre 10h00 : les CD qu'Alfio nous a gentiment donnés sont tous affectés
A ceux qui regrettent déjà d'avoir raté le CD offert par Jazz-Rhone-Alpes.com, précisons que l'album "Acqua" est disponible en téléchargement en cliquant sur le lien suivant: http://www.band.fm/alfio-origlio
Sinon, vous pourrez toujours l'acheter en allant voir le quartet d'Alfio en concert le 19 octobre au Périscope (Lyon), le 23 octobre au Festival d'Automne (Fontaine-38600) et le 20 novembre à la Soupe aux Choux (Grenoble)
