La carte blanche à Tchen Nguyen
(Vienne 8)
Le prof d'anglais à la guitare basse.
Les habitués du festival remarquent et reconnaissent forcément ce duo dans le paysage des acteurs de cette grande fête, où les uns et les autres se retrouvent, se donnent l'accolade, s'écartent parfois pour échanger des confidences. Il y a d'abord le député-maire Jacques Remiller, jovialement impérial. Patrick Curtaud, adjoint à la culture et aux relations internationales et conseiller général (je ne cite pas toute sa carte de visite), n'est jamais bien loin. Il respire l'efficacité dans la proximité conviviale. On s'étonne que Monsieur l'adjoint tutoie aussi facilement les musiciens et ceux du monde de la musique jazz. Il est viennois depuis quatre générations. J'apprends surtout qu'il a été professeur d'anglais et a joué de la guitare basse. Deux caractéristiques qui peuvent éclairer bien des choses. Le professeur d'anglais a été sollicité dès les débuts du festival pour servir d'interprète. Aujourd'hui, il est marqué par la dimension de l'ouverture de l'évènement à l'international. Le musicien a été demandé pour créer et animer un concours d'orchestres sur la scène de Cybèle avec les ensembles des villes-jumelles. Il passa 5 ans, de 93 à 98, à naviguer entre soucis de l'organisation et plaisirs des rencontres festives, parfois tonitruantes mais mettant toujours en valeur ce que chaque ville, chaque culture a d'original. Mais comme à Vienne on n'aime pas rester les deux pieds dans le même sabot, il fut chargé de penser l'évolution de la scène de Cybèle, marque de son attachement aux activités au plus près du terrain dans lesquelles les viennois se sentent bien. Patrick fut donc particulièrement bien armé pour passer de l'autre côté de la barrière, au moment du changement de majorité municipale. Il sera adjoint à la culture et aux relations internationales.
L'équipe municipale de Vienne a longuement réfléchi depuis le nouveau mandat municipal, au sujet du devenir de la gestion de cette"grosse machine". qu'est le festival. L'option prise est celle de la "gestion publique", malgré les apparences de son étiquette politique, sourit malicieusement notre homme. Il parle ici du domaine culturel. Au Conseil général, un tel type de structure semble donner satisfaction à l'occasion du festival Berlioz. Sur les plans technique et juridique, les EPCC (Etablissements Publics de Coopération Culturelle) permettent d'associer plusieurs collectivités territoriales et éventuellement l'Etat, dans l'organisation et le financement d'équipements culturels importants. Etant ancien directeur général des services d'une collectivité trois fois plus importante que Vienne et Directeur de la SEM de Nanterre, ville préfecture des Hauts-de-Seine , ayant eu ainsi à gérer des cinémas et à mener à bien la construction de la Maison de la Musique de Nanterre sous mandat, je crois comprendre un peu les enjeux. La solution mixte, notamment la DSP (Délégation de Service Public), fait que le partenaire privé prend en charge le risque financier ; mais quel partenaire privé alors? En tout cas, la formule associative type "Vienne Action Culturelle" ne semble plus correspondre. Patrick est bien conscient des enjeux : s'il y avait déficit ce serait la ville, plutôt la "collectivité principale" qui le prendrait en charge. Il voit les contraintes de la formule publique (nécessité de voter à l'avance un budget par rubriques) comme un avantage plutôt que comme un obstacle (moins de souplesse dans le temps et en transversalité, c'est à dire avec la possibilité de passer d'une rubrique budgétaire à l'autre). Son maître-mot est la nécessité d'anticipation que cela impose, avec ses corollaires : la maîtrise et la rigueur. En la matière, il aurait préféré que les arbitrages aient eu lieu l'année dernière mais se réjouit du chemin qui s'ouvre maintenant : mise en place du nouveau dispositif début 2011, donc pour le prochain festival, engagements financiers inscrits dans le prochain budget préparé dès l'automne, recrutement d'un directeur pour mener à bien ces tâches préparatoires et être complètement dans son rôle définitif le moment voulu. La structure publique porteuse sera la Communauté d'Agglomération du Pays Viennois (CAPV), avec l'implication du Conseil général où il siège et, l'espère-t-il, du Conseil Régional en plus de la Ville naturellement. "L'Agglo va prendre la main." Retenez bien le nom de ce partenaire CAPV actuellement aux consonances urbanistiques (voierie, ramassage des ordures ménagères...) et qui va prendre des accents musicaux. Dans le futur immédiat, avec la mise en place d'une convention installant les compétences de l'agglomération à l'égard du festival, une période de "tuilage" devra être assurée, c'est-à-dire d'emboîtement entre les anciennes actions avec les nouveaux actes. Cela tombe bien en pays viennois, aux tuiles romaines si caractéristiques. Souhaitons cependant qu'aucune tuile ne tombe sur ce processus et que la couverture de la maison "Festival" s'embellisse et se solidifie toujours plus, en harmonie avec cette belle charpente. Mais, comme pour toute architecture, il me semble que c'est le contenu humain qui compte. Patrick Curtaud y pense, lui qui insiste sur le thème du "jazz dans la ville". Un toit pour accueillir qui ? Comment le gîte donnera-t-il envie de s'arrêter et revenir? Continuer de faire vivre une étape avec son identité et son âme, et non comme un simple élément dans un circuit de chaînes d'hôtels à cinq étoiles. Une architecture (juridico-financière) doit être à l'image d'un projet de vie et d'activités. Celui de Vienne me semble remarquable par le croisement entre la vie de la base, avec ceux qui mettent et remettent la main à la pâte, et l'aura internationale de l'évènement. Ni simple fête de village ou de pays, ni machine à Business. L'équilibre de la formule fut trouvé. Herbie Hancock en fut touché au point de revenir 12 ou 13 fois. Comment faire pour que Roy Hargrove ait envie de trouver un "chez lui" dans lequel il aimerait se renouveler, aller toujours plus loin dans les miracles musicaux qu'il est capable de distiller?
Ce soir, nous fûmes accueillis dans la maison des pianistes. Qui plus est, celle de deux pianistes des îles. Tout naturellement, ils furent des capitaines de navire nous emmenant à bord chacun à sa manière.
Monty Alexander n'a rien d'un pirate des Caraïbes. Il emporte notre adhésion à la loyale. Son pianisme est rutilant et flamboyant. Son instrument est à marteaux mais semble monté sur ressorts. Cela parait simple comme une musique à danser et cela fonctionne bien ainsi. Mais il faut aussi prendre la peine d'écouter la richesse des harmonies prodiguées.
Je trouve que le jeu de Chucho Valdes est très festif, mais d'une virtuosité un peu sèche. Même du point de vue du dispositif scénique, le groupe est au service de Chucho alors que Monty a été l'inspirateur du sien. Chucho est chef, Monty est géniteur, avec de surcroit, une belle gueule de centaure grec.
Et le Havana Club de la buvette a été le bienvenu à la mi-temps pour accompagner ces transports musicaux exotiques. Arrivé (un peu) en avance, j'ai pu profiter de quelques instants duaux avec Mounia. Yeah !
