Balade en noir : Jazz et Polar, l’évidence d’une complicité
Lors de la 5ème édition du festival Quais du Polar qui avait lieu ce week-end, Jean-Paul Boutellier, fondateur et directeur du festival Jazz à Vienne, animait samedi une conférence intitulé "Jazz et Polar, l’évidence d’une complicité".
Dans le cadre des concerts-conférences organisées par le CNR et la médiathèque de Vaise, Pierre "Tiboum" Guignon nous présentait en guise d’apéritif musical le Trio Bing, qui a joué quelques une de leurs compositions, tour à tour sensuelles, efficaces et modernes, dont l’atmosphère parfois étrange, propice au meurtre diront certains, introduisait à merveille la conférence qui allait suivre.
A noter que les prochains concerts-conférence auront lieu au même endroit le mardi 21 avril avec comme thème le duo dans le jazz et le mardi 26 mai avec des improvisations autours de textes de Guillaume Apollinaire.
Nous connaissions Jean-Paul Boutellier comme un grand érudit du jazz, mais l’homme a plusieurs cordes à son arc et est aussi un fin connaisseur et grand amateur de polar.
Le roman noir américain et le jazz, se trouvèrent naturellement liés, victimes dans les années 20 d’un même ostracisme de la part des milieux officiels de la littérature et de la musique. Le jazz trouva refuge dans des lieux peu recommandables et de (très grande) tolérance. Lors de la prohibition, la pègre américaine avait besoin d’un alibi culturel pour ouvrir des lieux qui servaient de circuit de distribution parallèle pour l’alcool, notamment à Chicago. A New-York, la stratégie fut différente, et la mafia fit le choix d’ouvrir des clubs très chics pour le public blanc huppé, comme le très célèbre Cotton Club. La cohabitation entre les musiciens de jazz et le milieu du crime organisé qui payait bien fut donc très fructueuse, et le jazz c’est ainsi développé dans le même univers que celui décrit dans les romans noirs. La vie de certains jazz(wo)men, comme celles de Billie Holiday, de Chet Baker ou d’Art Pepper (qui fit plusieurs années de prison) furent d’ailleurs parfois plus noires que celles des gangsters eux-mêmes.
A partir des années 30, les rapports se sont individualisés de part et d’autre. Le soliste de jazz a pris de son importance d’un coté, tout comme le héros policier de l’autre. Ce mimétisme c’est poursuivi dans le cinéma durant les années 40 et 50. Le jazz, qui est une musique essentiellement instrumentale, est particulièrement adapté pour suggérer des ambiances et le polar à besoin du jazz pour décrire des atmosphères, dans les romans noirs comme dans les films. Avant les années 40, les canons du cinéma hollywoodien interdisaient aux Noirs et aux Blancs de figurer ensemble à l’écran. Il y a donc très peu de films avant cette date où e jazz, musique essentiellement jouée par des Noirs, est omniprésent dans le cinéma. Jean-Paul Boutellier étaya son propos à l’aide de nombreux extrait de films, où le jazz est un élément moteur de l’intrigue et non un simple accompagnement musical.
Puisqu’il est question ici du festival Quais du Polar, notons également que fut entre autre remis samedi 28 mars le Prix BD Expérience-Evène pour lequel concourait la trilogie Jazz Maynar, qui malheureusement ne remporta pas ce prix.
Cette série noire et plutôt violente, qui mêle jazz et polar, a pour théâtre le "mythique et déliquescent" (glauque quoi !) quartier d’El Raval à Barcelone. Disons le clairement, les références au jazz sont assez anecdotiques et réduites à la portion congrue, et le héros manie plus volontiers le flingue que la trompette. Amateurs de récits linéaires passez votre chemin, ici les multiples flash-back sont de rigueur et les scènes simultanées dans des lieus différents imposent un rythme soutenu et un suspens haletant au risque de s’y perdre parfois un peu, avec bonheur. Le dessin est clair, précis et efficace et la colorisation est traitée de manière quasi monochromatique dans des tons ocre et chauds tout au long des 3 volumes. L’ambiance qui s’en dégage n’est pas sans rappeler les films noirs américains d’après guerre, voir celle beaucoup plus proche de nous du film de Jacques Audiard sorti en 2005 "De battre mon cœur c’est arrêté"
Le premier tome est sorti en 2007, le 2ème tome a reçu le prix du meilleur dessin au Salon de Barcelone en 2008, le 3ème et dernier tome vient de sortir en janvier 2009.
Laurent Peix
