La carte blanche à Jean-François Viaud
Crest Jazz Vocal, quarante ans déjà ! Je me souviens...
Le festival a déjà quarante ans, et plus si l'on compte son existence sous l'appellation de l'association : Festival de la Vallée de la Drôme. Par sa longévité, il s'agit du plus vieux festival de Jazz de la région Rhône Alpes. S'il a suivi le mouvement des festivals de Jazz en France en emboitant le pas des festivals du sud avec Nice Jazz Festival et Jazz à Juan, il a par contre, vus naître Jazz à Vienne, le Rhino Jazz Festival, Jazz In Marciac, Jazz à Nîmes (qui a disparu depuis et qui avait lieu dans les arènes) ou le Grenoble jazz Festival entre autres....
Que d'étapes franchies, avec la création en 1988 du concours de Jazz Vocal qui se déroule l'après-midi sur la place centrale de Crest. Il recentre le festival au cœur de la ville et regroupe une foule nombreuse de connaisseurs pour cette compétition de haut niveau. Avec le changement de site pour la grande scène en 1989 qui passe de la cours de l'école, à l'espace Soubeyran. Avec l'orientation vers le jazz vocal en 1991, c'est depuis cette date que le festival s'appelle Crest Jazz Vocal et que de nombreux chanteurs et chanteuses de Jazz son venu à Crest. Le festival n'a pas cessé de s'enrichir avec de nouvelles activités continuant ainsi de faire la promotion de la musique et de la voix. C'est ensuite la création des stages qui sont complets d'année en année avec des intervenants de haut niveau et des stagiaires passionnés. Depuis douze ans les conférences musicales de Nicolas Bénies viennent compléter les journées du festival et notre culture musicale. Avec sa pédagogie, son érudition et sa passion il vient illustrer à l'aide de morceaux musicaux et de films la grande et la petite histoire du Jazz. Après s'être étendu dans l'espace, sur différent lieux, le festival s'étend dans le temps avec Jazz au Village depuis 1999 pour nous faire patienter avant le démarrage de l'édition. Et les Jeudis D'Jazz du Jazz Club depuis 2003 pour attendre durant l'hiver, l'édition de l'année suivante.
Je me souviens des "très anciens" qui ont connu les premières éditions de festival sous chapiteaux avec des fanfares New Orleans et le passage des musiciens américains qui descendaient à Nice ou à Juan. Certains se remémorent le passage d'Elvin Jones! Je me souviens des "anciens" racontant avec émotion les concerts des grands artistes américains. Car certains d'entre eux sont restés "scotchés" par le Count Basie Orchestra, le groupe vocal : Les Grandes Gueules, et Randy Weston.
Je me souviens des chanteuses de jazz qui venaient volontiers à Crest l'été, à l'aube de leur carrière et qui remplissent aujourd'hui les grandes salles et les grands festivals : Dianne Reeves, Stacey Kent, Cassandra Wilson, Diana Krall, Patricia Barber, Robin McKelle, Sara Lazarus... des grandes anciennes comme : Michele Hendricks, Ranee Lee, Dee Dee Bridgewater, Liz Mac Comb... celles qui sont aujourd'hui disparues : Abbey Lincoln, Betty Carter, Nina Simone... et les jeunes en pleine ascension : Lisa Ekdahl, Petra Magoni (de "Musica Nuda"), Mina Agossi, Youn Sun Nah, Lisa Simone, China Moses,... le passage de génération à eu lieu, certaines succèdent à leurs mères sur la scène de Soubeyran.
Je me souviens des chanteurs aussi : Le Golden Gate Quartet (l'ancienne formation), et les crooners américains comme Peter Cincotti et Kurt Elling. Je me souviens des nombreux passages de David Linx qui a toujours fait ses concerts avec générosité, s'investissant corps et voix. Sa voix résonnant dans la nuit et la gestuelle de sa grande silhouette en perspective de la Tour de Crest. Ray Charles aussi qui est venu chanter Georgia On My Mind sur les bords de la Drôme. Je me rappelle bien de l'affluence ce soir-là, qui a été de mémoire de bénévole, un des concerts le plus complet. Nous avons passé la soirée à découper les billets à l'entrée et entendu le Genius au loin. Je me souviens aussi de Jon Hendricks venu chanter en duo avec sa fille Michele. Parmi les anciens il y a eu Jimmy Scott avec sa voix d'enfant qui nous perturbe et nous émeut. Little Jimmy nous a quittés il y a un an avec sa voix d'ange. Je me rappelle aussi d'Henri Salvador qui est venu à Crest avant son grand retour à la scène, sans ses nouveaux tubes. Il était encore dans l'ombre et connu seulement de ceux qui savaient qu'il avait fait ses classes de "Collégien" chez Ray Ventura ou qu'il était un très grand guitariste et un très grand chanteur. Bien sûr il a fait ses sketchs et l'amuseur, mais quel plaisir d'entendre Syracuse sur les bords de la Drôme. Quelques autres chanteurs ont aussi foulés la scène de Soubeyran, parfois jazzy comme Michel Jonasz, parfois rocker comme Eddy Mitchell, parfois crooner comme Guy Marchand, parfois zazou comme Charles Trénet et toujours poète comme Claude Nougaro.
Je me souviens aussi des musiciens. Les Bluesmen avec Taj Mahal, Eric Bibb ; Popa Chubby et CharlElie Couture qui ont fait le bœuf, de Lucky Peterson qui courait dans les tribunes avec sa guitare, Bill Deraime, Paul Personne, Jean-Jacques Milteau, Luther Allison... Les manouches avec le Trio Boulou Ferré & Christian Escoudé & Babik Reinhardt (c'était encore dans la cours de l'école) Romane & Stochelo Rosenberg, Biréli Lagrène, Les Doigts de l'Homme...Les américains du sud avec Ernesto Tito Puentes, Tito Puente Group, (ce n'est pas la même personne, il y Puente et Puentes) Compay Segundo, Chucho Valdes & Afro Cuban Messengers, Omar Sosa, Yuri Buenaventura, Raul Paz, Orchestra Aragon, Carlinhos Brown, Familia Valera Miranda, Ray Gelato, Ray Barretto, Marcio Faraco, Lenine, Maraca,... Les africains avec Touré Kunda, Orchestra Baobab, Ray Lema & Manu Dibango, Salif Keita, Geoffrey Oryema, Amadou & Mariam, Kora Jazz Trio et plus récemment Seun Kuti & Egypt 80 et Bibi Tanga & The Selenites... Les musiques du monde avec Benat Achiary 4tet, Césaria Evora, Hadouk Trio, Rabih Abou-Khalil, David Krakauer, Titi Robin ...
Les Jazzmen : des très grands avec Doc Cheatham, Abdullah Ibrahim, Lester Bowie, Martial Solal, Kenny Wheeler qui accompagna Thierry Péala, des vieux loups avec Daniel Humer, Richard Galliano, André Ceccarelli &, Joachim Kühn, Didier Lockwood, Louis Winsberg, Mino Cinelu, Brad Mehldau, Romano & Sclavis & Texier & Le Querrec, Michel Petrucciani, Aldo Romano, Bernard Lubat, E.S.T.,...Des jeunes lions : Manu Katché, Erik Truffaz, Paolo Fresu, Eric Le Lann & Michel Graillier, Stefano Di Battista, Roy Hargrove, Julien Lourau, Ibrahim Maalouf, Tigran Hamasyan,...
Des locaux avec Jazz Action Valence Contreband et Big Band de Jazz Action Valence, des voisins comme Manhu Roche, Alain Brunet et Daniel Mille, des régionaux Zaza Desiderio, Joachim Expert, Thomas Enhco, Magnetic Orchestra, Nora Kamm et Ortie,...Quelle liste à la Prévert ! On ne peut pas citer tous les musiciens, je laisse beaucoup de pointillés pour ceux qui n'ont pas été mentionnés et ceux qui seront à venir...
Je me rappelle que nous sommes restés une poignée de spectateur sous la pluie battante devant la scène en 2001 pendant que le Michel Portal 5tet continuait son set imperturbable et passionné. Je me rappelle de Bumcello en 2003 avec ses rythmes enivrants. Seul un papillon avait ce soir-là, arrêté les rythmes en boucles du duo, en se posant sur le manche du violoncelle. Vincent Segal et Cyril Atef avaient rigolé de cette invitation impromptue dans leur musique. Et de l'hommage récent à Marcel Azzola qui nous a fait un immense plaisir de retracer sa carrière musicale depuis le jazz jusqu'au musette en passant par la chanson. Je me souviens des soirées dansantes et festives où nous faisions la fête à Crest avec The Blues Brothers Band, la Compagnie Lubat dé Gasconha, No Jazz, Electro Deluxe, Caravane Palace, Paris Combo, Maceo Parker ou le Papa groove de Manu Dibango. Je me rappelle de l'annulation à cause d'un orage du concert de Screamin'Jay Hawkins & The Chicken Hawks en 1996. Et de la décision de la direction du festival de reprogrammer l'année suivante ce sorcier Voodoo du Rythm n' Blues. Nous avions ainsi pu entendre I Put A Spell On You chanté et interprété au piano avec un crâne et une main articulé posés sur l'instrument, tandis que Screamin'Jay Hawkins éructait son standard. Je me rappelle de mon impolitesse à l'égard d'Archie Shepp qui me saluât en Backstage d'un "Bonsoooir Monsieur" avec son accent américain. J'étais tellement impressionné que je suis resté sans voix les yeux ronds sans lui répondre ! Je me rappelle de Cassandra Wilson qui nous saluait à l'américaine en nous disant « Hi » avec un grand sourire ! Je me rappelle de l'hommage à Claude Nougaro « Ô Toulouse » avec Eddy Louiss, Bernard Lubat, Luigi Troussardi et Maurice Vander. Et d'avoir eu le privilège d'évoquer avec ce dernier le concert en duo qu'il avait donné avec le chanteur toulousain en 1991 : "Une voix, dix doigts" qui m'avais beaucoup ému. J'espère qu'un hommage sera organisé en musique pour Eddy Louiss prochainement ! Je me rappelle de mon premier concert consacré aux enfants sous le kiosque où j'ai découvert un univers dédié à la sensibilisation musicale des nouvelles générations. Le jeune public était chaque année enflammé par ces spectacles qui leurs sont adaptés. J'ai découverts des artistes avec la vocation farouche de transmettre le plaisir des musiques improvisées au plus jeunes : Les Bouskidou, Petrek, les Papas Rigolos, Les Frères Léon, Chtriky zèbre à trois,...Je me rappellerais toujours des bénévoles, ceux d'une année comme de ceux de toutes les années, qui donnent des heures de participation sans compter et toujours avec le sourire et la satisfaction d'avoir contribué au plaisir des festivaliers. Et bien sûr je me rappelle des yeux pétillants de bonheur des spectateurs lorsque le concert a été beau et qu'ils repartent satisfaits. Je me rappelle les soirées fanfares et les défilés de ces formations amatrices qui déambulaient dans les rues, du centre-ville jusqu'à l'espace Soubeyran. Je me rappelle des jam sessions en ville, après les concerts. Celles qui étaient dirigées avec fougue, énergie, bienveillances et passion par Médéric Collignon et Philippe Gleize l'année où ces deux trublions étaient maîtres de stage. Ils entraînaient avec bonheur de nombreux stagiaires tard dans la nuit en animant pour le plaisir de tous, ces fins de soirées.
Je me souviens de nombreuses émotions musicales vécues à l'espace Soubeyran avec en fond de scène le Donjon de Crest souvent surmonté de la lune pour accompagner nos nuits d'été.
Je souhaite une longue vie au plus vieux festival de la région, pour que derrière l'espace Soubeyran, les flots de la Drôme charrie encore beaucoup de standards du Jazz et de la chanson. Car je veux avoir encore longtemps des occasions d'émotions musicales comme celles déjà vécue depuis quarante ans !
Jean-François Viaud