Jazz-Rhone-Alpes.com

36^ème édition Jazz à Vienne :

Ce qu'il s'est passé le vendredi 1er juillet 2016

Encore une soirée festive au Théâtre Antique avec Goran Bregovic et son invité spécial Stephan Eicher précédés par un Sanseverino impertinet à souhaits.  Du côté de Cybèle une belle journée de jazz

Le croquis et la chronique de François Robin

Mariages & Enterrements

"Il faut absolument que nous préparions la célébration de nos funérailles" C'est un refrain récurrent que nous échangeons, ma femme et moi, après nombre de cérémonies funéraires, tant il nous semble évident que les proches n'ont jamais le temps de s'en occuper au mieux, noyés dans l'urgence subite de l'évènement. ...
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La sélection de Christophe Charpenel

En quelques années Christophe Charpenel, un des "vraitographes" réguliers de l'équipe de Jazz-Rhone-Alpes.com s'est fait une belle réputation dans la communauté des photographes de jazz. Il collabore désormais à de nombreux médias et a réalisé de belles expositions tant en France qu'à l'étranger. Pour cette édition nous lui avons demandé de nous proposer chaque jour sa sélection. La photo qu'il souhaite mettre en avant.

Théo Ceccaldi en duo avec Roberto Negro au Club de Minuit

Sur la scène de Cybèle

Third Roam

"Third Roam" joue une musique aérienne où la subtilité le dispute à l'efficacité.

La formation sans batterie exige de chacun des musiciens une attention sans faille aux autres membres du groupe. Le trompettiste lui-même peut être amené à jouer le gardien du rythme, quand  la guitare et la contrebasse se rapprochent pour un duo où  François Gallix combine un jeu très mélodique et expressif avec celui tout d'intériorité poétique de Sébastien Joulie.

La liste des œuvres jouées alterne avec bonheur les compositions de Julien Bertrand (le trompettiste) et de Sébastien Joulie avec des standards et nous propose même une émouvante reprise de ''Mon Frère'' de Maxime le Forestier. On retrouve, notamment dans cette reprise, mais sur l'ensemble des titres également, le lyrisme presque éthéré de Julien Bertrand qu'il combine avec un jeu organiquement enraciné, vivant.

Third Roam présente un projet attachant aussi bien par la formation originale adoptée et par ses choix musicaux que par la personnalité du groupe, qu'il s'est forgé au gré des années sur les différentes scènes où l'on a pu l'écouter.

Michel Mathais & photos Jazz-Rhone-Alpes.com

Fabrice Tarel Trio

Difficile de commencer dans un brouhaha. Pas de transition, de pause, pas de bouton off pour faire taire les bavards. Au charbon.

Tears after tears. Miracle. Les anges planent à nouveau tout en haut du kiosque et dans ma tête aux premières notes échangées. Parce que Fabrice Tarel a quelque chose à défendre, l'idée d'une esthétique, d'une poétique. Les musiciens ont l'air imperturbables, très concentrés, et avancent en confiance. C'est la magie de ce trio. Je connais le répertoire par cœur mais j'essaie de me mettre dans la peau des musiciens qui rejouant sans cesse le même répertoire s'ingénient à se renouveler sans cesse. Changer son regard.

Whirl. Le ciel est rouge et vert et les instruments font vibrer l'air. La force très rock de ce morceau emporte, avec la contrebasse devant, les arpèges décalés du piano et l'assurance de la batterie. Une promesse. La musique avance, en symbiose. Même pas peur des silences. Les musiciens laissent respirer, quitte à entendre la clameur des buveurs de bière. La musique avec ses envolées pianistiques en impose. Les premiers regards se font complices. C'est une musique des profondeurs que tire le contrebassiste avec son archet. Il y a cette présence totale du batteur (tout en retenue et nuances), l'envoûtement du piano, dans une complexité et une imbrication des thèmes. Pas une note de trop. Pas de faute de goût. La poésie à l'état pur.

Teach me. Le lieu est populaire. C'est un challenge que d'amener les gens à écouter sa musique. Faut lutter, mais encore un bijou de mélodie. Les morceaux se sont enrichis avec l'expérience, pris du volume, de l'épaisseur. Les nuances miroitent. D'un mouvement à l'autre, dans une belle fluidité. Il y a chez les musiciens de la télépathie. Ils ont tous les trois des histoires à raconter.

Alentours. Les choses sont affirmées. Les nuances posées. Le son a pris, comme la mayonnaise. Ça saute, ça rebondit. Une musique intense. Avec cette pleine idée de liberté dans le jazz, ce quelque chose qui fait de l'homme libre un plus qu'homme, un mystère aimant. Les cloches ferment le morceau. Ce ne sont plus les mêmes, elles prennent le temps, et nous le rendent au centuple, dans leur côté méditatif. Elles amènent ce développement classique, presque debussien. Fin d'un acte.

Blurred future. L'ombre du trio de Bill Evans, une référence incontournable. En mieux. Pas de plagiat, juste un passage de relais. Avec la modernité en plus. Cette œuvre de jeunesse de Fabrice Tarel où tout est déjà en germe. Ce petit retour en arrière est intéressant, dans la perspective de cette parenthèse dans le temps.

Diluted. Ça repousse en avant. Encore une belle histoire. Quand la musique parle au cœur et décolle. Un morceau propice à l'expression du batteur. Désarticulée. Dans une logique étonnamment dansante.

Learning to be. Tout un programme. Tout est dit.

Laurent Brun et photos Jazz-Rhone-Alpes.com

(Fabrice Tarel : piano ; Gilles Lachenal : contrebasse ; Sébastien Mourant : batterie)

Au Théâtre Antique

Sanseverino

Dire de Sanseverino qu'il ne change pas serait lui faire affront. C'est le changement dans la permanence, l'art de se renouveler tout en gardant la même marque de fabrique. Vous la connaissez : En 1996 sur France Inter, on découvre un drôle de bonhomme, à l'humour caustique (qui pratique aussi l'auto dérision "C'est pas du jazz !" lance-t-il en début de concert) qui aime raconter des histoires et qui a les mots qui font mouche. Cela sonne juste, cela sonne vrai. Ça porte la sueur du monde ouvrier ou les petites banalités du quotidien (ce qu'il aimait retrouver sans doute dans les chansons de Béranger) et le côté sauvage du manouche. Cet homme garde cet humour et cette causticité jusque dans sa vie d'artiste.

Retour en arrière, de quelques années, théâtre antique de Vienne, lors des conflits ouverts entre l'état et les intermittents (une récurrence) Sanseverino sort de scène en plein milieu d'une chanson. Le son se coupe. Le public hue. Les lumières s'éteignent. Puis il revient une bonne dizaine de minutes après, sous les jurons des spectateurs, en laissant comprendre que c'est ce qui risque d'arriver à la culture si le statut de l'intermittence n'est pas défendu.

Quant au changement, après l'histoire de Dédé et de ses biscottes, et après une succession d'albums et d'aventures, Sanseverino pour ce coup-ci est Papillon. La vie de cet homme enfermé à Cayenne pour perpète est prétexte à des chansons bien troussées dont la force réside dans le voyage qu'il nous propose. Un voyage dans le temps, dans les différents lieux de vie du héros, qu'il se plait à décrire dans toute sa sensualité et son humanité. Exit la musique manouche. C'est ici la country qui est à la fête. Et quelle fête, avec des musiciens brillants et virtuoses qui ponctuent l'histoire du héros. Le spectacle s'accompagne d'un livre bande dessinée qui accueille le cd, de belle facture, conçu par Cécile Richard, Sylvain Dorange et Sanseverino. De quoi prolonger la fête.

Laurent Brun & photos David Strickler

Goran Bregovic

Annoncé en formation restreinte, L'Orchestre des Mariages et des Enterrements ne présentait pas moins de dix-huit personnes sur la scène sans compter Stephan Eicher venu les rejoindre pour quelques titres. On est loin, très loin du jazz auquel nous relie peut-être la guitare électrique par le truchement du rock dont Goran Bregovic fut une star à ses débuts. On voit que le fil est ténu.

Le concert commence par un morceau d'une tristesse nostalgique absolue comme seules les musiques balkaniques peuvent en produire. C'est en même temps d'une grande beauté  et d'une telle douleur exprimée que l'on se surprend  à compter sur les vertus cathartiques du spectacle pour éviter les drames à la sortie, tout à l'heure dans la nuit quand tous les démons sont gris et le fleuve si proche. Puis très vite le groupe enchaîne avec une musique de danse de mariage tout aussi débridée, une joie dansée avec l'énergie du désespoir et tout aussi inquiétante.

Après cette mise en condition le groupe enchaîne sur la musique de la reine Margot en hommage à Patrice Chéreau, puis Ausencia écrit pour Cesaria Evora.

Avec ce tango chanté par un chanteur kossovar, deux chanteuses traditionnelles bulgares et un quintette de voix lyriques masculin  soutenu par les cuivres d'une fanfare serbe et par un quatuor à cordes on est passablement dépaysé. Le public venu pour danser est à la fête.

Stephan Eicher viendra les rejoindre pour quelques chansons gypsy et une version originale de Déjeuner en Paix. Ensuite ça part en fête universelle, tout y passe, chansons à boire, Ederlezi, Sylvie Vartan, bal serbe, le public accompagne magnifiquement In a Death Car et prend le refrain à son compte, puis entonne Bella Ciao avant de finir avec Artilleria, chanson d'après boire, quand il ne reste plus rien au fond des verres et juste un peu de force pour chanter encore, avant de s'effondrer dans un sommeil brumeux traversé d'éclairs, derniers soubresauts des corps après la fête.

Michel Mathais et photos David Strickler

Au Club de Minuit

"Babies" : Roberto Negro et Théo Ceccaldi

On se croirait dans un atelier de réparation.

Ça pourrait être de vélos ou de montres. Ça ferraille, en mélodies sous-jacentes.

La mélodie prend petit à petit le dessus. Le piano bourdonne, hoquette, se cherche une harmonie, frotte. Le violon tient le cap, le rejoint, s'amplifie, le couvre de sons graves, en suavité. Le piano continue ses hésitations rythmiques et harmoniques. Le violon se lâche.

Que joue-t-on ? Une drôle de musique. Sous un projecteur. Une caricature drolatique de la musique classique, sans perruque. Il y a la même énergie, la même errance et la même solitude du compositeur, mais tellement plus jouissif.

Ça a l'intensité de Mozart. Mozart, sors de ces deux corps agités et sur vitaminés ! Retour dans les basses. Serait-on dans l'improvisation ?Oui madame, oui monsieur. Sans doute dans la même envie qu'avait Mozart de s'exprimer, mais là, mazette, quelle débauche de talents. Quelle synergie. Le piano préparé se met à jouer façon walking bass. Ça virevolte côté violon. Ça swingue mozartien. Ça branle jazz. Ça communique et ça danse. Ça se rejoint subitement sur un bout de thème, puis hop ça soul, ça blues. Ça avance, cavale. Ça engage le duo. Se fondre dans le son et la rythmique de l'autre. Marcher ensemble, réagir à l'autre, se laisser la place, dialoguer, se surprendre, sans compétition, juste dans le plaisir, avec quelques rendez-vous définis. Un écho, ça pizz, ça contrechante, variationne, contrepointe. Ça se cherche. Sous l'eau. Dans un souffle. Une résonnance. Marionnettes à déstructurer des morceaux bien établis, avec un bel humour. Les deux musiciens jouent au chat et à la souris. Qui prend la responsabilité d'aller là ou ailleurs ? Où vont-ils ? Avec quels matériaux ? Peu importe, le mystère reste entier à nos oreilles ébahies. La fin claque.

Jouer est un art majeur. Jouer à Mozart n'est pas donné à tout le monde.

Laurent Brun & photos Jazz-Rhone-Alpes.com

Bonus

Episode 3

Les improvisations picturales par l'association Solo Sari

En marge des concerts de Cybèle, plusieurs fois durant le festival cette association propose à un tandem de peintres de réaliser une toile de un mètre par un mètre en direct sur la musique.